Le spectre d’un « taper tantrum »

Publié le 14 mai 2021 à 18h21

Jean-Paul Betbèze

« To taper » : diminuer graduellement, effiler, rendre plus étroit. Ce verbe anglais vient du nom « taper », cierge. Une référence religieuse dans la finance, comme si ce tapering de la banque centrale, qui la ferait acheter graduellement moins de bons du Trésor pour financer le déficit budgétaire, allait éteindre la flamme de la reprise ! En tout cas, c’est la crainte des marchés et des banquiers centraux qui ne veulent pas voir… rallumée une inquiétude qui ferait trop remonter les taux longs aux Etats-Unis, puis partout ailleurs.

Ils ont en effet en mémoire le taper tantrum, cette « colère » de mai 2013 à la suite d’une intervention, qui se voulait bénigne, de Ben Bernanke, alors président de la banque centrale américaine (la Fed). De fait, le paradoxe et la surprise furent totaux et pèsent encore dans les esprits de tous, banquiers centraux surtout. En mai 2013 donc, Ben Bernanke, inventeur du quantitative easing qui avait sauvé les marchés de la crise des subprimes, commence sa conférence en disant que la Fed a l’intention de « maintenir une politique monétaire hautement accommodante aussi longtemps que nécessaire ». Parfait. Puis il ajoute, un peu plus loin, que cette même Fed pourrait réduire (« taper ») le rythme de ses achats dans ses prochaines réunions (in the next few meetings). Comment ! Aussitôt, les taux longs explosent partout, signe d’une colère qu’on a nommée depuis le taper tantrum.

On pourra toujours dire que c’est confondre le ralentissement des achats de bons du Trésor avec le changement d’orientation de la politique monétaire, mais le mal était fait. Les marchés financiers ont traduit « relativement moins accommodant » en « plus restrictif », à l’extrême surprise de Bernanke. Depuis lors, le problème demeure : comment éviter que se reproduise ce revirement des marchés ?

Aujourd’hui aux Etats-Unis, le problème revient, face cette fois aux 6 billions de dollars des trois plans de Joe Biden que la Fed aide à financer. Mais un tantrum serait une catastrophe ! D’autant plus que les marchés boursiers sont très satisfaits. 1,9 billion de dollars de soutien public contre la pandémie qui a fait chuter l’activité, plus 2,3 pour la rénovation des infrastructures et le changement climatique, plus 1,8 pour l’enfance et l’université, même si ces chiffres seront politiquement réduits : 6 billions ! Les bourses se disent que les profits à attendre d’une croissance plus forte compenseront la hausse annoncée des impôts des sociétés. Elle serait mondiale, selon la proposition du malin Biden, donc politiquement réduite. Ce qui inquiète tout le monde est une forte montée de l’inflation, vers 2,5 % et au-delà, qui ferait fortement monter les taux obligataires (conséquence du tantrum), et forcerait à réduire les achats — le tapering ! Et voilà que Janet Yellen, passée du côté du Trésor si l’on peut dire, et qui fait tous ses efforts pour expliquer ces plans, se met à parler de hausse des taux… pour calmer les inquiétudes inflationnistes !

Mais rien à craindre finalement : Janet dit qu’elle a tenu ses propos pour calmer le jeu. Plus besoin de Jay Powell ! En plus, la Fed a bien changé. Elle calculera son 2 % d’inflation en moyenne sur plusieurs années (sans dire combien et comment). Elle veut un taux de chômage très bas, pour tenir compte des minorités les plus exposées (latino-américains et afro-américains). Certes, les marchés pourraient s’inquiéter de la stabilité du dollar, mais nous n’y sommes pas.

Ces mêmes inquiétudes se retrouvent à chaque conférence de Christine Lagarde, la présidente de la BCE, toujours interrogée sur son plan de quantitative easing de 100 milliards d’euros par mois.

Aux Etats-Unis, les sources du tantrum restent : « Quand et comment allez-vous mener le tapering ? » Et elles pourraient devenir, sacrilège : « Mettez-vous le dollar en risque en achetant autant de Tbonds ? »  En zone euro, la question est : « Allez-vous pouvoir continuer vos achats de papiers européens en respectant les règles que la BCE s’est données pour ne pas acheter trop de papiers italiens ? Comment allez-vous résister aux pressions allemandes et résister aussi à la hausse des taux longs qui viendrait des Etats-Unis ? » Les réponses sont toujours les mêmes : il n’y a aucun problème, nous sommes dans nos mandats, rappelez-nous plus tard. Surtout, pas de tantrum !

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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