Le tapering, «rétro-bazooka» de la Fed ?

Publié le 25 juin 2021 à 12h08

Jean-Paul Betbèze

Le « rétro-bazooka » marchera d’autant plus que la Fed achètera moins de bons du Trésor et l’annoncera en avance, avant même de monter les taux courts.

Le 6 juin dernier, après des jours d’inquiétudes sur les marchés financiers, le chiffre de l’inflation américain est publié. Il est de 5 % en mai sur un an, 3,8 % hors nourriture et énergie. Dans le même temps, les taux d’intérêt des bons du Trésor américain à 10 ans passent de 1,7 % début mai à 1,4 % le 11 juin, puis à 1,39 % le 21 !

Le 16 juin, Joe Powell, le président de la banque centrale américaine (la Fed), a pourtant annoncé que la reprise était plus forte que prévu, avec plus d’inflation qu’anticipé. Mais il a aussitôt ajouté que cette hausse de l’inflation était temporaire, ce qui n’empêchait quand même pas la Fed de réfléchir à modérer ses achats mensuels de bons du Trésor et d’obligations privées (120 milliards) et de songer à remonter ses taux courts. Le calme revient, la Bourse apprécie… puis s’inquiète à nouveau !

Pourrait-il y avoir deux hausses des taux courts en 2023, les faisant atteindre 0,5 % avant de continuer jusqu’à ce que les taux à long terme parviennent à 2,5 %, ceci pour escorter les 2 % d’inflation à terme des prévisions des membres du comité de politique monétaire, les fameux Dot Plots ?

C’est en effet le long terme surtout, tel que prévu par les marchés, qui explique ce qui se passe. Derrière le chiffre de 5 %, l’inflation sous-jacente n’est que de 3,8 %. La nourriture n’a en outre monté que de 2,2 % sur un an, contre 28,5 % pour l’énergie ! La voilà donc, la coupable… sans compter la hausse des prix des voitures de seconde main, ce qui ne durera pas ! Les marchés se disent alors que cette forte hausse des prix va s’atténuer, étant liée à des effets de base. Le point bas du pétrole, celui du pire de la crise, est derrière nous. Son prix va peut-être continuer de monter, mais graduellement.

Les marchés vont alors regarder d’autres prix, ceux des puces électroniques ou de l’acier, face à des demandes fortes liées à la « reprise-compensation » et, plus encore, à des goulets d’étranglements dans les services qui pourraient susciter des hausses de salaire. Mais rien ne vient, à écouter Jay Powell. Car tout se joue, pour lui, autour d’un ferme ancrage des anticipations à 2 %, au-delà de ces dépassements d’inflation, mécaniques et temporaires.

D’autres raisons expliquent ce « paradoxe des taux longs calmes ».

D’abord des raisons économiques bien connues, à savoir la concurrence et les nouvelles technologies ; ensuite des raisons politiques, paradoxales : les billions de dollars des plans annoncés par Joe Biden semblent compromis. Certains démocrates vont calmer la crainte de surchauffe née du programme de soutien aux infrastructures et au social. Certains républicains « de bonne volonté » sont d’accord… pour la moitié du seul programme d’infrastructures, mais sans impôt, hors l’essence (!). Deux démocrates modérés (dont Joe Manchin) trouvent que c’est trop et ceux de gauche (dont Bernie Sanders), jurent que c’est le minimum. Pendant ce temps, le « grand programme social » semble oublié. 

Il y a enfin des raisons géopolitiques, si les marchés se disent que les deux « ennemis », Russie et Chine, sont clairement identifiés. Depuis la réunion de l’OTAN du 14 juin, la Russie devrait être mieux « suivie » par l’Union européenne, qui se voit reconnaître une « autonomie décisionnelle » aux côtés de l’OTAN, « dans un esprit d’ouverture, de transparence et de complémentarité mutuelles totales » bien sûr, selon le communiqué. Ceci va permettre aux Etats-Unis d’« investir » (militairement) plus par rapport à la Chine, dans la seule zone sino-pacifique.

Ainsi, en polarisant l’attention sur l’inflation à long terme, la Fed se dote d’une nouvelle arme, d’un nouvel « outil » pour parler comme elle : le « rétro-bazooka », le tapering ! Pourquoi « rétro-bazooka » ? Parce qu’il marche d’autant plus que la Fed achètera moins de bons du Trésor, l’annoncera en avance, avant même de monter les taux courts, « comme avant » !

Bien sûr, taux courts et « rétro-bazooka » vont devoir fonctionner ensemble. Le second devra agir plus longtemps, l’encours des taux longs pesant sur la pente des taux. Surtout, tout dépendra de la qualité des prévisions de la Fed sur l’inflation. Les marchés financiers ont pardonné la « surprise » de la forte reprise car elle les aidait, mais attention si l’inflation paraît hors de contrôle. Ils craindront que le « rétro-bazooka » ne doive servir bien plus, au risque d’atteindre cette fois la reprise ! Sa précision reste donc pour l’instant à démontrer. 

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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