L'analyse de Jean-Paul Betbèze

Les nouvelles Banques centrales de l’«avec-Covid-19»

Publié le 26 juin 2020 à 15h30

Jean-Paul Betbèze

En attendant le vaccin, les grandes Banques centrales du monde administrent des milliards de doses de… dollars, euros, yens, livres sterling et sans doute aussi de yuans. Il s’agit d’éviter la déflation, puis de permettre à l’économie de repartir «avec la Covid-19». «Avec» : inutile de rêver. C’est la cohabitation avec le virus qu’elles essaient de gérer, sachant qu’elle pèse sur la productivité, donc la croissance et l’emploi. Faute d’avoir des réponses sur l’allure des années qui viennent, toutes font ce qu’elles peuvent pour réduire la spirale baissière et retourner les anticipations par le crédit, et pour soutenir les reprises d’activité, d’emploi et surtout d’investissement. Car rien n’est gagné, tant que l’on ne maîtrise pas la pandémie et que l’on ne voit pas les structures de production et de consommation qui gagneront.

L’«après-Covid-19» n’est donc pas pour demain. L’industrie va revoir ses chaînes de production, avec les nouvelles distances et organisations de travail. Les services sont plus impactés encore, avec cette nouvelle contrainte de proximité, dans les transports, l’hôtellerie-restauration, le tourisme, les formations… En attendant, les pertes sont très importantes, partout. Les Banques centrales doivent donc soutenir les banques qui soutiennent les trésoreries, puis permettre des ouvertures non rentables ou peu rentables pour faire repartir la machine, avec les nouveaux «réglages» à trouver, en fonction des normes sanitaires et des psychologies, avant de financer les nouveaux investissements : logiciels, machines, logistique, organisation, formation et embauches plus qualifiées. Des milliards pour résister puis repartir, des milliards aussi de pertes à financer, que l’on découvrira bientôt. Il s’agit donc pour les Banques centrales de financer plus, et moins cher, les banques, en réduisant les exigences et contrôles sur elles, afin de les pousser à prendre plus de risques, tout en achetant plus de bons du Trésor et d’obligations privées !

Pas de surprise si Jay Powell, le président de la Banque centrale américaine, demande plus de soutiens budgétaires, sachant qu’il n’a pas, lui, de limite pour acheter les bons du trésor. Chose nouvelle, il insiste pour soutenir les banques, seules à même de faire passer aux PME et aux ménages, plus au secteur caritatif (!), les appuis qu’il développe à la Fed. L’engagement de la Fed ira au-delà de la forward guidance, du guidage des taux bas.

Selon Mary Daly, présidente de la Banque de réserve de San Francisco, il s’agit d’un engagement (commitment). La Fed a vu, avec 1929 (Great Depression) et 2007 (Great Recession), qu’il fallait agir fort et vite. Elle a vu aussi qu’il a fallu 10 ans pour récupérer 2007. 10 ans c’est trop long, pour un résultat trop fragile. Trop long : en 2018 aux Etats-Unis, les 20 % de ménages qui avaient les plus bas revenus gagnaient moins qu’en 2007. Trop fragile : deux mois, avec la pandémie, ont fait exploser les taux de chômage des Afro-Américains et des Hispaniques, avec les effets sociaux que l’on voit. Pour la Fed, les 3 billions de dollars actuels obéissent en fait à des situations d’urgence. Après, il faudra surtout, au-delà des routes et des ponts, rebâtir les infrastructures de santé, d’éducation et d’infrastructure digitale. D’autres milliards.

En zone euro, on parle surtout chiffres : 1 300 milliards d’euros de financement des banques jusqu’à juin 2023 (TLTRO-III-4), 1 800 au total pour tous les TLTRO, plus 4 000 milliards d’obligations publiques et privées. Nous allons vers 7 250 milliards fin 2020, en attendant trois autres programmes de refinancement des banques, soit vers 8 500 milliards fin 2021. La BCE finance plus que jamais les banques, très sollicitées par les PME et TPE, à des conditions très favorables. Elle finance davantage les Etats et joue gros, sachant que ses programmes ont été condamnés par la Cour fédérale allemande comme étant «disproportionnés», mettant trop à contribution l’épargnant allemand. Ainsi, pendant que la réponse de la BUBA à la Cour se prépare, la BCE augmente son PEEP (Pandemic Emergency Purchase Program) à 1 350 milliards ! Angela Merkel, Emmanuel Macron  et la Commission européenne proposent de leur côté un emprunt communautaire de 750 milliards, dont 250 de crédits et 500 de subventions… Et ceci a l’air de passer !

Fed et BCE font de la stratégie industrielle et sociale : méconnaissables ! 

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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