L'analyse de Jean-Paul Betbèze

Que sont devenues les grandes banques centrales ?

Publié le 7 mai 2020 à 17h28

Jean-Paul Betbèze

Etats-Unis : il fut un temps où la Fed (Banque centrale américaine) poussait la croissance avec des taux d’intérêt très bas, pour avoir le taux de chômage le plus faible possible (3,5 %), sachant qu’elle avait alors 2,1 % d’inflation. C’était pile son mandat, mais il y a très longtemps : six semaines. Aujourd’hui, avec la pandémie, 30 millions de chômeurs sont là. Le PIB a baissé de 4,8 % en termes annualisés au premier trimestre, en attendant pire au deuxième. La Fed, lors de la conférence de presse de son Président le 29 avril, rappelle alors que son premier mandat est «la stabilité financière», autrement dit d’éviter l’effondrement du système américain, banques et Bourses. Et le bilan de la Fed atteint aujourd’hui 30 % du PIB américain.

C’est ainsi que, avec la pandémie, la Fed recommence à acheter des bons du Trésor, des titres hypothécaires qui financent les logements, les commerces et centres commerciaux. En plus, elle apporte son soutien accru aux banques «classiques». Elle va aussi acheter des obligations risquées (fallen angels, ETF high yield), puisque le financement de l’économie américaine repose pour un tiers sur les crédits bancaires et pour deux tiers sur les marchés. Plus instables, ils sont bien plus à protéger. Ainsi, non seulement la Fed n’est jamais sortie des mesures exceptionnelles nées de la crise des subprimes, mais elle «en rajoute», en fait pour garantir le dollar, «monnaie de réserve par excellence», au cœur du dispositif mondial. 

Il fut un temps où la BCE (Banque centrale européenne) cherchait à atteindre 2 % d’inflation en soutenant le crédit bancaire, sachant que la croissance de la zone euro était faible, les situations budgétaires de certains Etats membres dégradées et leurs systèmes bancaires fragiles. Elle abaissait alors régulièrement ses taux jusqu’à 0 % et les rendait même négatifs pour refinancer les banques, afin qu’elles puissent au moins maintenir leur volume de crédits aux entreprises et aux ménages. 

Mais la pandémie la force à aller plus loin, puisque le financement de la zone euro est le symétrique des Etats-Unis, avec deux tiers du financement venant des banques et un tiers des marchés. Les conditions de refinancement des banques ne peuvent donc que baisser, pour les aider. Les taux sont à -1 % désormais, pour des montants croissants. On peut ainsi estimer que 2 000 milliards d’euros restent encore refinançables à ces conditions favorables : 200 pour l’Italie, 500 en France, 600 en Allemagne. Vient en outre une facilité, présentée par Christine Lagarde le 30 avril, le PELTRO (Pandemic Emergency Longer-Term Refinancing Operation) pour prolonger les financements bancaires spéciaux (TLTRO) qui arrivaient à échéance. Et cela ne suffit pas. Voilà que la BCE achète, sur le marché, des obligations publiques (surtout) et privées, au rythme de 115 milliards par mois jusqu’à la fin de l’année 2020, sans doute aussi (qui sait ?) pour aider les banques espagnoles et italiennes et leurs Trésors nationaux. Son bilan égale 40 % du PIB de la zone !

Et cette pandémie pousse partout à chercher d’autres lieux sûrs : Etats-Unis en premier lieu, zone euro ensuite, qui doit donc d’autant plus se consolider, Japon et Suisse enfin. Les règles sont bousculées, car il s’agit désormais d’un concours de stabilité financière par temps de virus. Le yen, pour conserver son statut de refuge, au moins à usage interne pour un pays dont la dette publique égale déjà 2,4 fois le PIB, frappe fort. Ainsi, la Banque du Japon (BoJ) vient de décider de supprimer toute limite à ses rachats d’obligations souveraines ! Elle était déjà le centre du capitalisme japonais, le financeur de l’Etat et de la Bourse ! Elle avait commencé à racheter des actions en 2010 pour tenter de lutter contre la déflation. Depuis, elle est le premier actionnaire de 55 des 225 entreprises du Nikkei. Ça continue : la stabilité du yen n’a pas de prix !

Quant à la Banque nationale suisse, elle achète des tombereaux d’euros et de dollars pour éviter, elle, un franc suisse trop fort : 1 dollar = 1 franc suisse. Nous sommes à 0,96 !

Les grandes banques centrales sont dans un mouchoir de poche. Par rapport au dollar et depuis janvier, le franc suisse perd 1 %, le yen 1,9 %, l’euro 2,7 % : hasard ! Et voilà que la Cour fédérale de Karlsruhe publie le 5 mai un arrêt limitant (en fait) les achats de bons italiens et espagnols par la BCE. L’indépendance est une notion variable, la rationalité aussi… 

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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