Faut-il craindre le risque de déflation ?

Publié le 2 octobre 2020 à 17h50

Michel Martinez

A la suite de la crise épidémique, certains se sont mis à craindre le retour d’une inflation forte, significativement au-dessus de 2 %. Il se peut que cela arrive, mais à très long terme. Le risque est plutôt le retour des craintes déflationnistes à court terme, à moins d’un choc majeur sur les matières premières. A moyen terme, d’ici cinq ans, compte tenu de la persistance d’un chômage élevé, l’inflation devrait rester positive mais contenue, significativement au-dessous de 2 %.

Les arguments qui peuvent justifier un retour de l’inflation concernent les politiques budgétaire et monétaire extraordinairement accommodantes et la «déglobalisation». En quelques mois, la Banque centrale européenne a injecté près de 15 % du PIB dans l’économie, autant qu’entre 2008 et 2013, à la suite de la grande crise financière et de la crise de la dette en zone euro. En parallèle, les Etats européens et la Commission européenne ont abandonné l’orthodoxie budgétaire. A raison, vue l’urgence sanitaire et économique. Les mesures de soutien budgétaire à l’économie approcheront 8 % du PIB cette année et seront suivies par des plans de relance financés en partie par le Fonds de relance de l’Union européenne. De surcroît, les leaders européens ont décidé de retrouver une autonomie dans certains secteurs industriels stratégiques, à commencer par la santé, les énergies renouvelables, etc., bref un mouvement de «déglobalisation». Toutefois, là où le bât blesse, c’est que ces arguments ne disent rien sur le moment et l’ampleur de ce potentiel retour de l’inflation.

La réalité est pour l’instant tout autre. En septembre, l’inflation en zone euro s’affichait en territoire négatif, à - 0,3 % sur un an. La baisse des prix de l’énergie, du fait de la baisse des prix du pétrole et de la hausse de l’euro, est passée par là. A moins d’un choc majeur, les prix des carburants et de l’énergie ne devraient guère remonter d’ici l’an prochain, surtout si l’euro continue de s’apprécier, avec pour conséquence de maintenir l’inflation en territoire négatif jusqu’au printemps. 

Mais ce n’est pas tout. L’inflation domestique, «sous-jacente», des prix des biens manufacturés et des services a touché un point bas à 0,2 % sur un an. Jamais nous n’avions observé un niveau aussi faible depuis que les statistiques sur l’inflation existent en Europe. La raison en est simple : le choc pandémique est avant tout un choc de demande, notamment dans les activités de services durement touchées par les contraintes de distanciation physique (tourisme, transport, services aux particuliers, loisirs, etc.). Les entreprises de ces secteurs n’ont pas aujourd’hui les capacités de relever leur prix. Du côté des biens, la hausse de l’euro, les efforts des commerçants pour liquider leurs stocks, les soldes, pèsent également. Et tant que les mesures sanitaires resteront en place, il n’y a pas lieu de penser que la situation changera fondamentalement. Nous pensons ainsi que l’inflation sous-jacente devrait osciller autour de 0,5 % sur an jusqu’au printemps. 

Si l’histoire se répète, comme en 2015 et 2016, face à la combinaison d’une inflation négative et d’une faible inflation domestique, la crainte de la déflation ou de la «japanification» de la zone euro pourraient resurgir. Cela obligera la BCE à intervenir une nouvelle fois, cette fois-ci avec moins de marge de manœuvre que lorsque le président Draghi décidait en 2015 de baisser les taux d’intérêt en territoire négatif et de faire marcher la planche à billet pour acheter des titres obligataires d’Etat.

Nous pensons que le risque de déflation (la persistance d’une inflation négative pendant de nombreuses années comme au Japon dans les années 1990 et 2000) reste faible, mais que l’inflation se maintiendra durablement en dessous de 2,0 %. 

En effet, pendant quelques années et ce, même si la pandémie recule et qu’un retour à la vie normale prend forme, l’économie de la zone euro devra affronter les effets de second tour. Des défauts et restructurations d’entreprises sont inévitables. Ils s’accompagneront d’une hausse du taux de chômage. La Banque de France a récemment indiqué qu’elle s’attendait à ce que celui-ci soit supérieur à 11 % fin 2021 en France, contre 7,1 % en juin dernier. Si elle se confirme, cette détérioration du marché du travail et de l’appareil productif devrait à son tour peser sur les salaires et limiter la hausse de l’inflation domestique qui ne devrait guère dépasser 1,0 % en moyenne pendant trois ou quatre ans. 

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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