L'analyse de Michel Martinez

La BCE schizophrène ?

Publié le 4 octobre 2019 à 15h44

Michel Martinez

Le 12 septembre, la Banque centrale européenne (BCE) a pris trois décisions significatives. Elle a baissé son principal taux directeur de - 0,4 % à - 0,5 % et relancé son programme d’achat de titres obligataires à hauteur de 20 milliards d’euros par mois. Surtout, elle a indiqué qu’elle ne remonterait pas ses taux directeurs tant que l’inflation domestique, à 1 % aujourd’hui, ne reviendrait pas proche de 2 %. La banque centrale a mis la barre tellement haut que les marchés n’anticipent pas de retour à des taux directeurs positifs avant 2027 ! Parallèlement, le crédit se porte bien, et les mêmes autorités s’inquiètent des risques de bulle immobilière. La politique de taux d’intérêt négatifs pourrait voir ses périlleux effets se produire avant même que l’inflation n’atteigne l’objectif de 2 %.

La BCE estime donc que la priorité est que l’inflation revienne à 2 % et qu’il faut tout faire pour y parvenir. Elle a défini sa cible d’inflation comme proche, mais en dessous de 2 %, indiquant récemment qu’une inflation à 1,6 % n’était pas suffisante pour qu’elle se sente à l’aise. Depuis sa dernière réunion, il faudrait de surcroît que l’inflation domestique, qui stagne à 1 % depuis six ans, «converge de façon robuste» vers cette ligne de 2 %.

Il y a des raisons de penser qu’il faudra attendre longtemps. Avant la crise, l’inflation domestique était en moyenne de 1,8 %, en ligne avec les objectifs de la BCE, mais des changements structurels majeurs se sont opérés depuis. L’inflation des prix énergétiques est beaucoup plus faible car le cartel de l’Opep a perdu de son pouvoir de fixation des prix avec l’avènement d’autres sources d’approvisionnement (pétrole de schiste, en eau profonde). Par ailleurs, de nombreux prix, dont le poids a augmenté ces dernières années, ne dépendent que peu des salaires : prix des services de communication et médias, déflatés par les progrès technologiques et la forte concurrence, dépenses de santé (essor des génériques), digitalisation de l’économie… Selon les propres estimations de la BCE, l’inflation sous-jacente ne dépassera pas 1,5 % avant 2022. Selon les nôtres, elle ne devrait pas se rapprocher de 1,7 % avant 2024. A moins que la BCE change ses engagements, ce qui nuirait à sa crédibilité, les taux d’intérêt monétaires ne devraient donc pas bouger d’ici là ! Christine Lagarde devra réfléchir à l’opportunité de garder cette cible d’inflation.

On peut aussi douter de l’efficacité de la politique monétaire hyper accommodante. L’idée est que des taux d’intérêt bas favorisent la croissance, font baisser le chômage, monter les salaires et, in fine, l’inflation. C’est ce qui a toujours été enseigné dans les manuels d’économie. Mais ces enseignements s’appliquent-ils aussi quand les taux d’intérêt sont négatifs ? Il pourrait bien y avoir une courbe de Laffer des taux d’intérêt, comme il en existe pour les taux de taxation : des taux bas pourraient bien nuire à la croissance, et donc limiter l’inflation. Cette politique monétaire affaiblit l’ensemble du secteur financier (banques, assurances, gestion d’actifs) et fait apparaître des entreprises «zombies» qui ne survivent que parce que le coût de l’endettement est faible. Dans des pays comme l’Allemagne, on observe que plus les taux d’intérêt baissent, plus les ménages épargnent et réduisent leurs dépenses actuelles, en vue de conserver un meilleur niveau de vie dans le futur.

Cette décision de la BCE semble avoir suscité des oppositions au sein même des principales banques centrales nationales. En effet, en France, en Allemagne, à vrai dire, dans des pays qui représentent près de 60 % du PIB de la zone euro, le crédit est très dynamique, au-dessus de 5 % l’an, et fait craindre l’avènement de bulles des prix des actifs. Le Comité européen du risque systémique, présidé par Mario Draghi et animé par les banques centrales nationales, a lancé récemment un avertissement, pointant la surchauffe des marchés immobiliers. En moyenne, dans la zone euro, le ratio des prix immobiliers au revenu est en effet déjà supérieur à son niveau de 2007 ! Le remède proposé, à savoir un plus fort usage des politiques dites macroprudentielles, est de passer la patate chaude aux gouvernements. Outre l’augmentation du niveau de capital des banques pour couvrir une éventuelle détérioration de la qualité des prêts, les gouvernements sont appelés à limiter l’endettement des ménages, voire à imposer des niveaux minimums d’apport en capital. Mesures politiquement délicates, en particulier en ce qui concernerait les primo-accédants…

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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