L’inflation est-elle de retour ?

Publié le 26 février 2021 à 17h10

Michel Martinez

Le sujet majeur qui préoccupe certains opérateurs des marchés financiers actuels concerne la « reflation », autrement dit le retour durable de l’inflation à des niveaux proches ou au-dessus de 2 %, qui obligerait les banques centrales à abandonner leurs politiques monétaires extrêmement accommodantes. Cela entraînerait une normalisation des taux d’intérêt à long terme et par conséquent des changements notables dans les rendements des actifs financiers et immobiliers. L’inflation se redressera nettement cette année en zone euro et devrait terminer l’année 2021 légèrement en dessous de 2 %, mais pour des raisons essentiellement temporaires.

D’où vient la résurgence du thème de la « reflation » ? L’inflation en zone euro a récemment bondi, de -0,3 % en décembre à 0,9 % sur un an en janvier, surprenant la plupart des économistes. Une telle accélération sur un mois (120pb) n’était jamais arrivée. Aux Etats-Unis, plusieurs économistes de renom, comme Olivier Blanchard et Larry Summers, se sont inquiétés récemment du plan de relance proposé par le Président Biden dont la taille (1 900 milliards de dollars, soit 9,1 % du PIB) dépasse largement toutes les estimations des écarts de production (output gap). Il pourrait ainsi générer un excès de demande sur l’offre dans beaucoup de secteurs économiques et par là même, de l’inflation.

De façon intéressante, les opérateurs de marché spécialistes de l’inflation anticipent un rebond de l’inflation cette année et une baisse durable ensuite. Les swaps d’inflation, la référence pour se prémunir du risque inflationniste, voient l’inflation à 1,5 % en zone euro en fin d’année, 1,0 % fin 2022 et 1,2 à 1,3 % pour les cinq années qui suivent. Un phénomène similaire s’observe aux Etats-Unis, bien qu’à un niveau plus élevé, proche de 2 %, mais pas de nature à justifier un durcissement brutal de la politique monétaire de la Fed.

Aux Etats-Unis comme en Europe, une des raisons de ce caractère anticipé comme temporaire du retour de l’inflation tient aux prix du pétrole. A plus de 60 $ le baril aujourd’hui, le prix du pétrole doublera par rapport à son niveau du printemps dernier. Mais cette hausse peut être difficilement entretenue. Aux niveaux actuels, la production de pétrole devient rentable presque partout, y compris le pétrole de schiste ou off-shore, et celle-ci devrait augmenter rapidement, limitant fortement tout nouveau potentiel de hausse de son prix. Si ce scénario est confirmé, l’inflation des prix de l’énergie sera nulle d’ici un an, alors qu’elle grimpera à 5 % sur un an cet été. Dit autrement, la hausse des prix du pétrole est très probablement temporaire, après une année 2020 exceptionnellement faible.

En zone euro, la baisse de la TVA en Allemagne au second semestre 2020, puis son retour à la normale en janvier, va aussi relever l’inflation tout au long de l’année 2021. Mais cet effet disparaîtra en 2022. D’autres effets liés à la pandémie ont plombé l’inflation en 2020 (comme la baisse des prix dans le transport aérien ou l’hôtellerie). Un retour aux prix antérieurs à la crise du Covid-19 est envisageable en fin d’année quand la vaccination sera largement répandue, et accentuera lui aussi l’inflation cette année. Mais cet effet devrait lui aussi se révéler transitoire, à moins que les capacités dans ces secteurs soient durablement réduites. Ce qui ne semble pas être le cas, compte tenu du soutien des Etats à ces secteurs pour y préserver l’appareil productif.

In fine, la question principale est de savoir s’il peut exister des sources auto-entretenues, permanentes, d’inflation. Cela serait le cas si les plans de relance aux Etats-Unis ou en Europe avaient un caractère permanent, que le chômage tombait durablement en dessous du chômage structurel (7 % en zone euro, 3,5 % aux Etats-Unis) et donnait ainsi lieu à des pressions salariales. Rien ne permet de l’imaginer à horizon visible aujourd’hui. Aux Etats-Unis, les contours du plan de relance Biden ne sont pas encore connus. Mais l’administration américaine prend soin de mentionner que son plan sera temporaire, ayant pour objectif premier de soutenir les revenus des ménages et les recettes des collectivités locales. En Europe, la hausse du chômage a été gelée par la baisse de la population active (notamment les jeunes qui retardent leur entrée sur le marché du travail). Mais ce phénomène devrait disparaître quand les vaccins et traitements permettront un fonctionnement plus normal des économies.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

Chargement en cours...