Que penser de la chute des marchés actions en octobre ?

Publié le 9 novembre 2018 à 15h54

Philippe Brossard

Les taux obligataires ont monté début octobre et les marchés boursiers internationaux ont reculé d’environ 7 % sur le mois, dans un mouvement mondial. D’où vient cette baisse ? La hausse des taux longs remet-elle en cause la valorisation actuelle des actions ? Les trajectoires de l’inflation et de la croissance sont-elles en train de changer ?

La baisse des marchés boursiers internationaux, d’abord, est la conséquence d’une conjonction de facteurs : intensification de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, crise italienne en Europe, crise de liquidité sur les produits fondés sur la volatilité des marchés actions.

Le facteur principal a néanmoins été la hausse des taux longs américains vers 3,25 % observée en début de mois, elle-même engendrée par de très bons chiffres mensuels sur l’économie américaine. Les marchés de taux sont en train d’entériner ce que la Fed dit et écrit depuis longtemps : les taux courts seront remontés jusqu’à 3 % ou un peu plus. Jusqu’à l’été dernier, les marchés à terme pensaient que les taux courts n’iraient pas au-delà de 2,75 %.

Concernant la valorisation des actions, leur prix peut être considéré comme la somme actualisée des dividendes futurs : plus les taux sont élevés et plus la valeur présente des dividendes futurs baisse. Les dividendes lointains souffrent d’ailleurs plus de l’effet d’actualisation que les dividendes proches. C’est pourquoi les valeurs dites «de croissance» (les valeurs technologiques par exemple, ou les valeurs du luxe), dont les dividendes d’aujourd’hui sont faibles mais devraient grossir à moyen terme, sont plus vulnérables à une hausse des taux que les autres. Il est logique que la valeur des actions, et surtout des valeurs de croissance, baisse quand les taux longs montent, toutes choses égales par ailleurs.

Mais les choses sont rarement «égales par ailleurs» : les taux montent, en général, quand les perspectives de croissance et/ou d’inflation augmentent. Si les taux montent de la même quantité que les perspectives d’inflation et de croissance cumulées, la valeur présente des dividendes futurs est inchangée. La hausse des taux longs américains a été modeste en octobre (20 pb au plus haut), et elle s’est résorbée ensuite face à la tempête boursière. Par comparaison, la croissance et l’inflation potentielles des Etats-Unis ou de l’Europe ont été sensiblement revues en hausse depuis deux ans. La hausse des taux a été plus un prétexte de vente qu’une remise en cause de la valorisation actuelle des actions. Celles-ci, il est vrai, sont un peu chères aux Etats-Unis, avec un taux de dividende inférieur à 2 % ; mais plutôt bon marché en Europe, avec des taux de dividende de plus de 3,5 %.

Une autre interprétation de la chute des actions pourrait être que les perspectives d’inflation et de croissance, donc de dividendes, sont en train de changer. Certains imaginent un enchaînement conjoncturellement très défavorable : l’inflation américaine pourrait accélérer brutalement ; la Fed, prise de vitesse, serait conduite à remonter trop vite et trop haut ses taux, déclenchant finalement une récession.

Mais les éléments les plus récents ne donnent guère de prise à cette interprétation :

l’inflation de septembre a été inférieure aux attentes aux Etats-Unis, retombant à 2,3 % ; l’inflation sous-jacente (2,2 %) n’a pas accéléré, contrairement aux prévisions du consensus. En Europe, l’inflation totale dépasse 2 % du fait de l’énergie ; mais l’inflation sous-jacente est à 1,1 % sur la zone euro et seulement à 0,7 % en France ;

la Fed semble être dans le bon tempo de remontée des taux, ni en retard ni en avance ; elle est parvenue à mieux en convaincre les marchés obligataires.

Par ailleurs, certains estimaient que la courbe des taux menaçait de s’inverser (i.e. : les taux courts devenant supérieurs aux taux longs) et que cela signalait un risque de récession. Ils devraient être rassurés : la (petite) hausse des taux longs américains qui vient d’intervenir permet de recréer une pente plus importante sur la courbe des taux.

Les mouvements de marché récents s’apparentent donc à une respiration des marchés actions, motivée par la cherté de certains secteurs (technologie américaine, luxe européen) plus qu’au début de la fin d’un cycle économique et boursier, qui, en Europe surtout, a sans doute encore une large marge de progrès.

Philippe Brossard Chef économiste ,  AG2R

Philippe Brossard est le chef économiste d'AG2R La Mondiale.

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