Gouvernance

Quelle place pour le G de ES[G] dans la gestion d'actifs aujourd'hui ?

Publié le 27 novembre 2020 à 11h51    Mis à jour le 27 novembre 2020 à 18h09

Serge Darolles

Avec la montée en puissance de l’ESG, la gouvernance des entreprises retrouve clairement le centre des préoccupations des investisseurs et des gérants d’actifs. Si ces questions ont toujours été traitées pour les fonds activistes, elles concernent désormais directement tous les segments de l’industrie de la gestion d’actifs, de la gestion active classique à la gestion passive. Cet article relate les discussions engagées lors de la première table ronde d’un événement organisé conjointement par Euronext, la Société Générale et l’université Paris-Dauphine – PSL, avec une attention particulière pour les principaux sujets traités par la recherche académique sur ce thème.

Quand cette recherche commence à traiter le sujet, elle s’intéresse d’abord aux hedge funds déployant des stratégies clairement identifiées comme activistes. Les premières études académiques étudient l’impact de leurs investissements, à la fois sur les critères de gouvernance et les performances boursières des entreprises ciblées. Les résultats obtenus sont positifs, avec une hausse des rendements boursiers observée pour la majorité des entreprises ciblées. Au-delà de ces effets directs sur la cible, ces études montrent également que l’activisme modifie le comportement des entreprises du même secteur ayant des caractéristiques similaires. La menace d’une prise de participation non désirée a ainsi des effets positifs bien au-delà des entreprises effectivement ciblées. Dans ce contexte, une question arrive naturellement : l’investisseur est-il toujours gagnant une fois payés les coûts induits par l’activisme ? Ou en d’autres termes, l’activisme est-il rentable ? Il est bien évidemment difficile de mesurer ces coûts. Toute tentative en ce sens passe nécessairement par l’utilisation d’un modèle et donc l’acceptation d’hypothèses plus ou moins réalistes. En suivant cette démarche, la littérature démontre que les coûts induits réduisent de plus des deux tiers les rendements activistes. Au final, le rendement net moyen pour l’investisseur est proche de zéro, et seuls les fonds du quartile supérieur, c’est-à-dire les plus performants, affichent des rendements plus élevés sur les investissements activistes que sur les investissements non activistes.

Ces questions de gouvernance concernent évidemment tous les secteurs de l’industrie de la gestion d’actifs. Les investisseurs institutionnels actifs par exemple sont par nature activistes, du fait notamment de la taille des positions qu’ils détiennent dans les entreprises. Les études académiques menées à leur sujet permettent de mieux comprendre leur rôle dans la gouvernance d'entreprise. Elles démontrent que leurs modes d’intervention sont variés, allant de la clôture de leur position au vote contre lors des assemblées générales, ou aux discussions en coulisse avec le management. Ces recherches observent notamment que les investisseurs long terme interviennent plus que les autres. Le développement récent de la gestion passive pourrait changer cette donne. Elle pose alors une autre question : les investissements passifs sont-ils aussi bénéfiques en termes de gouvernance ? Les résultats de la littérature sur ce point sont quelque peu ambigus. Certains auteurs suggèrent en effet que les fonds passifs influencent positivement les choix de gouvernance des entreprises. L’investissement passif, comme l’investissement actif, est alors associé à une amélioration de la performance à long terme des entreprises. Cependant, d’autres recherches démontrent un résultat contraire : une augmentation de la proportion des investisseurs passifs dans le capital d’une entreprise conduirait à une augmentation du pouvoir des dirigeants et à une diminution des nominations d’administrateurs indépendants, et donc aurait un impact négatif en termes de gouvernance.

Dans le contexte d’une attention croissante portée aux critères ESG, il est naturel d’étendre ce débat au-delà de la seule question de la simple gouvernance et de traiter les composantes environnementales et sociales (E&S). C’est le chemin que suit la littérature académique en s’intéressant aux deux questions suivantes. La première concerne la prise en compte par les investisseurs des politiques environnementales et sociales des entreprises. Les études académiques sur ce point montrent clairement que les investisseurs désinvestissent des entreprises présentant une exposition accrue à des risques environnementaux et sociaux. De plus, cette pression émanant des investisseurs est efficace et provoque des changements dans les politiques de gouvernance des entreprises. La littérature pose alors une seconde question : les investisseurs institutionnels ont-ils un impact significatif sur la performance environnementale et sociale (E&S) des entreprises ? Les études académiques confirment que les investisseurs institutionnels influencent à la fois par les rendements financiers et les rendements sociaux des entreprises. Elles montrent notamment que l’augmentation de la détention institutionnelle est positivement associée à la performance E&S – et que cette relation est clairement causale. De plus, les recherches les plus récentes soulignent que les investisseurs augmentent la performance E&S des entreprises dans les pays où la dimension E&S est la plus prise en compte. Les investisseurs participent ainsi d’une certaine manière à la diffusion globale des normes sociales en matière d’E&S. Nous pouvons donc voir se dessiner un cercle vertueux permettant à la fois aux investisseurs dans leur ensemble et aux entreprises de bénéficier de la prise en compte croissante de ces critères ESG en général, et de gouvernance en particulier.

Serge Darolles Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Serge Darolles est professeur à l’Université Paris-Dauphine.

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