Scores ESG : quelles questions se poser avant de les utiliser ?

Publié le 24 novembre 2023 à 12h20

Serge Darolles    Temps de lecture 4 minutes

Le récent séminaire du Club des techniques quantitatives de l’AFG, organisé sur le thème « Intelligence artificielle pour la finance durable : réalités et défis », en partenariat avec le programme FaIR de l’institut Louis Bachelier, a notamment permis aux chercheurs académiques et aux gérants d’actifs d’échanger leurs points de vue sur la place centrale prise par les scores ESG. Ces scores sont en effet aujourd’hui largement diffusés par les vendeurs de données financières, et on les retrouve au cœur des processus d’investissement mis en œuvre par les gérants d’actifs.

Au-delà des aspects commerciaux ou d’affichage, la recherche académique soulève naturellement un certain nombre de questions à leur sujet. Les résultats récents présentés lors de ce séminaire ont ouvert le débat et ont permis de donner un éclairage nouveau sur les pratiques des gérants d’actifs dans ce domaine.

Vu la place prise par les scores ESG dans les processus d’investissement, il est légitime de questionner leur apport. Ces scores reflètent en théorie une information extra-financière non prise en compte par ailleurs dans le processus d’investissement. Mais est-ce vraiment le cas ? Les promoteurs de ces scores donnent généralement accès à deux types d’information : les scores finaux d’une part, et les données brutes qui ont servi à les calculer d’autre part. Il est en revanche beaucoup plus difficile d’accéder à la formule de calcul proprement dite, ou de savoir si la méthode de calcul est purement systématique, ou si au contraire elle laisse une part importante à l’analyse qualitative. Il est cependant possible de partir des scores publiés et d’utiliser des techniques d’intelligence artificielle afin de séparer dans ces scores une composante prévisible (celle qu’il est possible de reconstruire à partir des données brutes), et une composante non prévisible (celle qui matérialise l’intervention de l’analyste dans le calcul des scores). Une fois cette seconde partie isolée, rien ne nous empêche de rechercher quelle information alternative permet de l’expliquer. Sans grande surprise, les travaux académiques montrent que cette composante imprévisible est fortement liée à l’analyse financière classique. Ainsi, il semblerait qu’une partie significative des scores ESG ne reflète pas une information non financière, mais bien une information financière, déjà prise en compte par ailleurs dans les processus d’investissement.

Ce premier résultat peut être rapproché d’une tendance forte observée ces dernières années dans le monde des agences de notation extra-financière – le rachat des agences indépendantes par les leaders de l’information financière. Vigeo-Eiris est une illustration de ce phénomène. L’agence a effectivement été rachetée en 2019 par Moody’s, sans que le système de notation n’évolue. On pourrait donc s’attendre à ne pas observer de changement significatif dans les rapports produits par l’agence. Cette date de rachat peut servir de référence à une étude d’événement simple, à même de valider ou non cette intuition. Il suffit pour cela d’utiliser d’autres techniques d’intelligence artificielle pour quantifier le degré de financiarisation des rapports écrits par Vigeo-Eiris, avant et après le rachat par Moody’s. On observe alors que ce degré augmente à la suite du rachat, sans raison particulière puisque la méthodologie employée reste inchangée. Par contre, le simple fait d’être racheté par un grand acteur de l’information financière entraîne la financiarisation d’une notation à la base exclusivement extra-financière. Ce résultat doit évidemment être validé par un ensemble d’études complémentaires afin d’exclure des causes du phénomène observé les évolutions de la réglementation. Mais il donne une direction claire des évolutions observées dans le domaine.

La place de plus en plus importante des scores ESG nous pousse alors à élaborer deux scénarios prospectifs bien différents. Le premier décrirait une place croissante des critères extra-financiers dans les processus d’investissement, et finalement une finance plus verte et plus durable. Le second dépeindrait une financiarisation de l’analyse extra-financière, avec différentes sources d’information toutes uniquement influencées par le financier. Prendre en compte une information extra-financière dans les processus d’investissement ne changerait alors pas fondamentalement les choses, et l’on arriverait au final à un statu quo, c’est-à-dire à une finance qui s’afficherait plus verte, mais qui serait à l’image de celle d’aujourd’hui. Les premiers résultats énoncés plus haut font plutôt pencher la balance en faveur du second scénario.

Serge Darolles Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Serge Darolles est professeur à l’Université Paris-Dauphine.

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