L'analyse d'Isabelle Job-Bazille

La difficile mise en place d’un mécanisme de restructuration des dettes d’Etat

Publié le 19 avril 2019 à 17h05

Isabelle Job Bazille

Beaucoup se demandent comment il sera possible de gérer la prochaine crise en zone euro alors que les dettes héritées du passé sont déjà à des niveaux très élevés. D’où les débats récurrents sur le bien-fondé de la mise en place d’un mécanisme de restructuration des dettes souveraines. L’idée a fait son chemin puisque les ministres des Finances de l’Union monétaire se sont mis d’accord, en novembre dernier, pour instaurer d’ici 2022 des règles facilitant une restructuration.

D’un côté, la mise en œuvre d’un tel dispositif doit permettre d’éviter de trop procrastiner et de devoir imposer des mesures d’austérité économiquement et socialement trop coûteuses, sans pour autant que cela permette de ramener la dette sur une trajectoire soutenable. D’un autre côté, la perspective d’une restructuration peut entraîner de graves perturbations économiques et financières. L’analyse des crises souveraines souligne le caractère auto-réalisateur des anticipations en matière d’insolvabilité. Si les marchés considèrent la dette d’un Etat comme candidate à un coup de rabot, alors ils vont logiquement vendre en masse les obligations du souverain ciblé, qui risque dès lors de perdre son accès au marché et de se retrouver acculé au défaut. Un excès de suspicion des investisseurs peut en outre contaminer d’autres souverains lourdement endettés dans une logique de «prochain sur la liste». Enfin, la perspective d’un abandon de créances fragilise les acteurs bancaires qui portent ce risque souverain à leur bilan. En cas d’assèchement des sources de financement ou de ruée sur les dépôts bancaires débouchant sur un rationnement brutal du crédit, d’importants dommages collatéraux sont à prévoir. Toute crise de liquidité peut ainsi se transformer en crise de solvabilité.

Etablir une distinction claire entre les problèmes de liquidité et de solvabilité est préalablement nécessaire avec, en fonction du diagnostic, un traitement différencié. Un problème de liquidité appelle la mise en place d’une garantie très large contre le risque de défaillance d’un Etat, tandis que seul un problème de solvabilité nécessite une solution plus radicale pour prévenir un défaut de paiement. Les analyses de soutenabilité des dettes sont là pour aider à trancher. Un tel exercice donne des résultats parfois ambigus et, surtout, sujets à caution. La prise en compte de données objectives, comme la croissance et les taux d’intérêt, n’échappe pas à l’incertitude entourant leurs prévisions, notamment en temps de crise lorsque le futur est extrapolé à partir du présent. Le recours à des critères plus subjectifs ayant trait à la capacité des Etats à lever l’impôt ou à se réformer, avec en toile de fond la question de l’acceptabilité sociale, renvoie à des questions d’arbitraire.

Pour éviter ces écueils, certains préconisent des règles automatiques de déclenchement d’une restructuration lorsque la dette et les besoins de financement d’un Etat dépassent un certain seuil, ou dès lors qu’un pays fait appel à l’aide du MES. Une telle automaticité rend encore plus probable l’éventualité de crises auto-réalisatrices avec des attaques spéculatives à partir du moment où un Etat s’approche du ou des critères.

Autrement dit, une certaine ambiguïté constructive et, en tout cas, l’absence de toute forme d’automaticité au profit d’une certaine discrétion pourraient aider à préserver la stabilité financière.

La boucle auto-renforçante entre les risques, souverain et bancaire, est une menace pour la stabilité financière en cas de restructuration. Avec la mise en place de l’Union bancaire, le lien allant des banques vers les souverains s’est bien distendu puisque les sauvetages bancaires, qui incombaient avant aux Etats, doivent désormais impliquer d’abord les créanciers privés selon une hiérarchie établie, puis un fonds abondé par les banques elles-mêmes avant toute intervention publique de dernier recours. En revanche, le lien allant des souverains vers les banques n’a pas été rompu, vu, dans certains pays, la forte exposition des acteurs bancaires domestiques aux obligations de leurs Etats respectifs. La désensibilisation des bilans bancaires au risque souverain domestique apparaît donc comme une condition nécessaire pour limiter les dégâts économiques. En l’état actuel, un mécanisme de restructuration des dettes souveraines, si séduisant soit-il, difficilement praticable.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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