L'analyse de Patrick Hubert

Concurrence : la répression des prix abusifs bouleversera-t-elle les stratégies financières ?

Publié le 6 décembre 2019 à 15h18

Patrick Hubert

Le droit de la concurrence interdit d’abuser d’une position dominante ; en général, les abus qui sont punis consistent à paralyser les petits concurrents ou ceux qui cherchent à entrer sur le marché. Mais, depuis quelques années, les autorités s’intéressent à une autre forme d’abus, qui touche cette fois les clients : les «prix abusifs». Cette tendance pose un problème. Les investisseurs, surtout dans la tech, comptent souvent sur une future position de marché forte pour espérer une rentabilité élevée. Si, dans un tel cas, les autorités interviennent pour faire baisser le prix, il ne servira plus à rien de privilégier des investissements dans de futures «pépites» suffisamment innovantes pour être, au moins quelques années, à l’abri de la concurrence. De même, pourraient perdre de leur pertinence les stratégies de recentrage sur le core business, défini comme le domaine où l’entreprise est leader de son marché.

Eclairer ces questions suppose de savoir à partir de quand un prix est abusif : s’il faut fixer les prix «comme si» des concurrents acharnés étaient présents alors qu’il n’y en a pas ou peu, l’on va bien vers un bouleversement des stratégies. 

Il est fait grand cas ces jours-ci de l’affaire Sanicorse. La cour d’appel de Paris, saisie d’un recours contre une sanction prononcée par l’Autorité de la concurrence, vient de juger qu’un dominant qui pratique une énorme augmentation de prix ne commet pas nécessairement un abus ; ce n’est le cas que si le prix final n’est pas «équitable», notamment au regard des coûts. Raisonnable en apparence, cet arrêt laisse de graves questions ouvertes : si le prix qui dépasse le coût plus une marge raisonnable est abusif, il pourrait bien, en effet, devenir inutile de viser de fortes positions de marché. La cour d’appel n’a fait que suivre un précédent de la Cour de justice européenne mais ce dernier a été rendu il y a plus de quarante ans, à une époque où la notion de prix élevé comme récompense de l’innovation était peu présente dans les esprits. La jurisprudence européenne plus récente, il est vrai, exige de pratiquer de multiples comparaisons avant de déclarer un prix abusif, mais le problème est loin d’être ainsi résolu.

Patrick Hubert

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