Gilets jaunes et antitrust

Publié le 14 décembre 2018 à 16h10

Patrick Hubert

Il a déjà été fait allusion dans cette chronique aux nouvelles orientations, hétérodoxes, que pourrait suivre le droit de la concurrence. Ma dernière chronique s’intéressait ainsi à son rôle possible dans le rééquilibrage du marché du travail. Mention a été faite plus généralement du «hipster antitrust» qui vise à faire place à des objectifs plus politiques que la simple préservation des prix bas.

Les revendications égalitaristes qui, au sein du mouvement des gilets jaunes, semblent l’emporter sur le simple «ras-le-bol fiscal» du début, arrivent à un moment où les travaux académiques se multiplient qui affirment que l’économie serait de plus en plus concentrée. Cette situation aurait des conséquences sur le marché du travail mais aussi au-delà. Articles et conférences rivalisent dans le catastrophisme : déclin de l’innovation, montée des inégalités notamment parce que les dépenses seraient de plus en plus concentrées sur les sièges et les fonctions support (y compris les revenus versés aux dirigeants), acquisitions de start-ups dans le seul but d’éviter la disruption (ce que l’on appelle les acquisitions tueuses). Dans les conférences, les représentants des autorités de concurrence joignent maintenant leur voix à ce concert, non sans prudence car ce diagnostic les accuse : elles n’auraient pas fait leur travail depuis des années.

Faut-il craindre un durcissement radical du contrôle des concentrations ou son extension à des transactions qui lui échappaient jusqu’à présent ?

Il en existe des signes : par exemple, l’Allemagne vient ainsi d’exiger qu’on lui notifie l’acquisition de cibles à chiffre d’affaires minuscule dès lors que la valeur de la transaction dépasse certains seuils. Toutefois, le pire n’est pas sûr. Les études sur l’excessive concentration des marchés concernent surtout les Etats-Unis ; la Commission a lancé des travaux équivalents pour l’Europe dont les résultats ne sont pas encore connus. Il transpire que la profitabilité aurait augmenté dans un certain nombre de secteurs. Cette bonne nouvelle pour les investisseurs en serait une mauvaise pour la population : cela annonce-t-il un contrôle des concentrations plus sévère en Europe ? Il est visiblement trop tôt pour le dire.

Mais cette ambiance doit inciter à des précautions. Montrer, comme il est d’usage, qu’une concentration ne porte pas atteinte aux marchés est une chose. Convaincre les autorités que la raison d’être de la concentration est d’accomplir un progrès économique aux larges retombées en est une autre, souvent négligée, à laquelle il conviendra de prêter davantage attention.

Patrick Hubert

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