Siemens-Alstom (2)

Publié le 8 mars 2019 à 16h56

Patrick Hubert

Depuis que la décision est sortie, la presse française donne l’impression que tout est simple : la Commission européenne est aveugle, réformons-la ! Mais les pistes rendues publiques par les gouvernements français et allemand révèlent, en creux, que les choses ne le sont pas, simples.

Un droit d’évocation par les Etats après un refus de la Commission : y aurait-il eu une majorité d’Etats pour autoriser la fusion ? Et 27 Etats pourraient-ils prendre une décision en quelques jours ?

Demander à la Commission de prendre en compte la concurrence à un niveau mondial : cela se fait déjà, lorsque le marché est global (les avions de ligne par exemple). L’idée est donc différente : accepter des fusions qui réduiraient la concurrence en Europe pour permettre l’émergence de géants. C’est demander au consommateur européen de subventionner par des prix plus élevés une entreprise qui se battra, avec des prix plus bas, ailleurs.

C’est une thèse controversée. Des exemples en sa faveur existent mais le doute est permis. Ainsi, Kai Fu-Lee, l’un des plus célèbres spécialistes du venture capital, affirme dans son dernier ouvrage que l’intense concurrence que se livrent chez elles les entreprises de la tech chinoise va leur donner une supériorité décisive sur la tech américaine.

De plus, juridiquement, l’idée n’est guère crédible. Le Traité européen charge la Commission de faire régner la concurrence en Europe. Pour qu’elle fasse le contraire, au bénéfice des marchés extérieurs (et de la politique industrielle), il faudrait amender le traité, tâche hasardeuse dans le contexte politique actuel.

Une autre piste est plus attractive, car elle suppose de ne modifier que les lignes directrices de la Commission. Il faudrait qu’elle analyse les projets de fusion dans une perspective de long terme, au lieu des trois années actuelles. C’est, à n’en pas douter, ce qu’il faudrait faire. Mais est-ce possible ? Nous, les praticiens, ainsi que nos clients, le tentons souvent, mais la Commission ne peut pas nous croire sur parole : prouver des assertions stratégiques est hélas bien difficile.

Quant au reste de la proposition franco-allemande, c’est un plaidoyer en faveur d’une politique industrielle européenne. L’ennui, c’est que piloter politiquement des grands projets suppose une unité de vue hors d’atteinte, d’où la préférence européenne pour les mécanismes juridiques abstraits, comme le droit de la concurrence.

Bien difficile, donc, de réagir brutalement à la décision Siemens Alstom ; mais le «moteur franco-allemand» produira peut-être ce miracle ?

Patrick Hubert

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