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Controverse sur les frais du private equity

Publié le 28 mai 2021 à 12h20

Jean-François Boulier

Le fait que les fonds de capital-investissement généreraient d’excellentes performances est généralement avancé par leurs gérants pour expliquer le niveau des commissions prélevées. Dans une étude récemment publiée, un chercheur de l’Université d’Oxford s’est attelé à évaluer ces frais sur une longue période aux Etats-Unis, avant de chercher à savoir si le retour offert aux investisseurs finaux en justifiait l’ampleur.

Les débats entre les avantages et les inconvénients relatifs du private equity ne datent pas d’hier. Tandis que les partisans du non-coté mentionnent sa moins grande volatilité en période de turbulences, les défenseurs des actions cotées pointent quant à eux sa moindre liquidité et la plus faible disponibilité de l’information. L’importance des frais appliqués aux investisseurs finaux des fonds de capital-investissement fait, elle aussi, l’objet de discussions récurrentes.

Dans son récent article intitulé « An Inconvenient Fact : Private Equity Returns & the Billionaire Factory », un économiste et professeur à l’Université d’Oxford, Ludovic Phalippou, réédite des travaux qu’il mène depuis une quinzaine d’années sur les performances comparées des fonds d’entreprises non cotées et de fonds investis en Bourse, aux Etats-Unis. La période qu’il a ici couverte s’étend entre 2006 et 2019. Sur la base des multiples, autrement dit du rapport des valeurs finales sur les valeurs initiales des placements, il en ressort que les actions américaines cotées ont rapporté 1,5 fois l’investissement initial. Pour les fonds de private equity, le multiple est à peine supérieur, de l’ordre de 1,6 fois. En termes de performances annuelles correspondantes, de respectivement 10 % et 11 %, la différence se limite à 1 %. Sur la même période, le nombre des gérants américains de fonds de capital-investissement devenus milliardaires est passé de 3 à 22.

Une forte intermédiation financière

L’étude effectue plusieurs estimations des coûts d’intermédiation des fonds investis en non-coté américain. Sur la période considérée, environ 600 milliards de dollars auraient été investis annuellement. Le coût annuel total pour les investisseurs non gérants de tels fonds atteindrait 100 milliards, dont près d’un quart (23 %) en « carried interest », c’est-à-dire en commissions de surperformance généralement acquise aux gérants de private equity au-dessus d’une performance annuelle de 8 %. Cette surperformance aurait ainsi rapporté à ces derniers un montant de 230 milliards entre 2006 et 2015, enrichissant les gérants de fonds non cotés en moyenne de l’ordre de 1 million de dollars par an.

En outre, un écosystème de spécialistes, avocats, banquiers, est impliqué dans la rotation des portefeuilles d’actifs de ces fonds. En y ajoutant le fait que les investisseurs eux-mêmes ont recours à d’autres spécialistes pour suivre de tels investissements, l’auteur s’étonne et s’inquiète de la cherté relative de cette intermédiation financière, sans pour autant nier l’intensité du travail ni l’expertise de ceux qui la mettent en œuvre.

La parole donnée aux gérants

L’originalité de cet article réside dans le fait qu’il a formellement donné la parole aux fonds de private equity, parmi lesquels BlackStone, KKR et Apollo, afin qu’ils réagissent à ces données et estimations. Certains ont répondu souvent de façon virulente en rétorquant notamment qu’ils servent les intérêts des investisseurs et qu’ils ont généré de substantiels taux de rendement internes, plus élevés que les performances ex post. Cette mesure est cependant contestée par Ludovic Phalippou, eu égard à la faiblesse du différentiel de performance entre les fonds de titres cotés et de titres non cotés.

Les comparaisons entre classes d’actifs ne peuvent évidemment jamais être conduites sans une forme d’arbitraire : est-ce la performance apparente ou la performance nette qui compte ? Quelles mesures de performances et de risques est-il préférable de choisir ? Comment efficacement prendre en compte et mesurer la différence de liquidité entre ces classes d’actifs ? Comment apprécier dans les frais de gestion la différence de compétences et d’implication des gérants du non-coté ? Quoi qu’il en soit, le lecteur peut juger les arguments des gérants et ceux du chercheur pour, ainsi, se faire une opinion plus circonstanciée. Dans la mesure où, en France, les investissements obligataires sont dominants, il serait également utile de comparer les performances de fonds de dettes relativement aux fonds obligataires, tant en termes de performance que de frais. 

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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