L'analyse de Patrick Artus

D’où viennent les taux d’intérêt à long terme bas dans la zone euro ? Une question centrale

Publié le 15 novembre 2019 à 18h57

Patrick Artus

Les taux d’intérêt à long terme sont très bas dans la zone euro. Ce niveau très bas a des effets considérables sur les économies, en particulier celui de maintenir la solvabilité budgétaire des Etats, même ceux très endettés.

Pour savoir s’ils vont rester durablement très bas, il faut en connaître la cause. Trois explications sont possibles : l’excès d’épargne et de demande pour les dettes sans risque ; la politique monétaire de la BCE, très expansionniste en raison de la faiblesse de l’inflation ; la politique monétaire très expansionniste de la BCE due à sa volonté de maintenir la solvabilité budgétaire des pays les plus fragiles.

Ces trois explications ont des conséquences très différentes pour la trajectoire future des taux d’intérêt à long terme de la zone euro, et donc pour la stratégie de politique budgétaire des pays de la zone euro.

La première explication possible des taux d’intérêt à long terme bas de la zone euro est donc l’excès d’épargne et de demande pour les dettes sans risque. Il est vrai que le taux d’épargne mondial du secteur privé a augmenté, passant de 27 % du PIB en 2002 à plus de 29 % du PIB en 2019 ; il est vrai que la zone euro a un excédent de l’épargne sur l’investissement, puisqu’elle a un excédent de sa balance courante qui oscille autour de 3 % du PIB.

Si les taux d’intérêt à long terme très bas de la zone euro étaient dus à l’excès d’épargne, puisqu’il s’agit d’une caractéristique structurelle durable, ils resteraient longtemps très bas. Mais il est difficile de croire à cette explication. D’une part, l’excès d’épargne mondiale est prêté essentiellement aux Etats-Unis, beaucoup moins à la zone euro ; d’autre part, l’excès d’épargne de la zone euro, qui vient de l’Allemagne et des Pays-Bas, est aussi prêté spontanément aux Etats-Unis et ne fait pas apparaître un excès de demande pour les dettes sans risque de la zone euro.

La deuxième explication possible est que ce niveau bas des taux d’intérêt à long terme vient de la politique monétaire de la zone euro en réponse à la faiblesse de l’inflation (l’inflation sous-jacente de la zone euro oscille autour de 1 %.)

Si cette explication est correcte, les taux d’intérêt resteront bas aussi longtemps que l’inflation sera faible. On ne voit pas d’inflation venir du fonctionnement spontané de la zone euro, avec la faiblesse à la fois des hausses des coûts salariaux, malgré la baisse du chômage, et l’incapacité des entreprises à passer leurs hausses de coûts dans leurs prix. Mais il peut y avoir des chocs inflationnistes externes : un changement de la politique salariale aux Etats-Unis, une hausse du prix du pétrole.

La troisième explication possible, enfin, est la politique monétaire expansionniste, non pour redresser l’inflation mais pour maintenir la solvabilité budgétaire des pays les plus fragiles de la zone euro. Il s’agit en particulier de l’Italie ; avec une dette publique de 135 % du PIB et une croissance potentielle nulle, l’Italie perdrait sa solvabilité budgétaire si les taux d’intérêt qu’elle paye sur sa dette publique (actuellement 1 % sur dix ans) remontaient.

Il est alors raisonnable de penser que la BCE veut éviter le retour d’une crise des dettes publiques dans la zone euro pouvant menacer la survie de l’euro. La situation budgétaire de l’Italie ne s’améliorant pas, son taux d’endettement public continuant à augmenter, les taux d’intérêt de la zone euro vont rester perpétuellement bas si c’est le maintien de la solvabilité budgétaire de l’Italie qui explique leur maintien à un niveau faible.

Il existe donc plusieurs explications possibles du niveau bas des taux d’intérêt à long terme de la zone euro : l’excès d’épargne, l’inflation faible, le souci de maintenir la solvabilité budgétaire des pays les plus fragiles. Si les gouvernements et les Parlements de la zone euro ne savent pas quelle est la bonne, ils ne savent pas quelle sera la durée de l’épisode de taux d’intérêt à long terme très bas : longue si l’explication est l’excès d’épargne ou le maintien de la solvabilité budgétaire de l’Italie, moins longue si c’est l’inflation faible.

Devant cette incertitude, l’attitude prudente pour les gouvernements de la zone euro est de se prémunir contre une possible remontée des taux d’intérêt à long terme de la zone euro, en profitant des taux d’intérêt bas seulement pour réaliser des investissements efficaces qui augmentent les gains de productivité et la croissance potentielle, et desservent donc la contrainte de solvabilité budgétaire même en cas de remontée des taux d’intérêt.

Patrick Artus Chef économiste ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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