L'analyse de Patrick Artus

Faut-il s’inquiéter de la remontée des taux d’intérêt à long terme ?

Publié le 5 mars 2021 à 18h26

Patrick Artus

Une remontée modeste des taux d’intérêt à long terme n’est pas dangereuse, elle peut même être une bonne nouvelle.

Depuis l’été 2020, les taux d’intérêt à long terme ont commencé à remonter. Pour les taux d’intérêt à 10 ans, aux Etats-Unis de 0,6 % à 1,3 % ; pour l’Allemagne de - 0,6 % à - 0,3 % ; pour la France de - 0,4 % à - 0,1 %. Certains s’en inquiètent : cette remontée des taux d’intérêt à long terme peut-elle menacer les économies, la valorisation sur les marchés financiers ? Nous pensons qu’il faut être rassurant : elle n’est pas dangereuse, elle peut même être une bonne nouvelle, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il est clair que les taux d’intérêt à long terme vont rester inférieurs à la croissance potentielle (en valeur). Celle-ci est d’au moins 4 % aux Etats-Unis, de 3 % dans la zone euro : les taux d’intérêt sont encore très loin de ces niveaux, et les banques centrales, qui peuvent à tout moment acheter davantage d’obligations, ne toléreraient pas qu’ils s’en rapprochent. Cela nous rappelle que, avec les interventions des banques centrales, les taux d’intérêt à long terme sont davantage des prix administrés que des prix de marché. Tant que les taux d’intérêt à long terme sont inférieurs aux taux de croissance, il ne peut pas y avoir de problème de solvabilité pour les emprunteurs, puisque les taux d’endettement décroissent spontanément (la dette croît avec le taux d’intérêt, donc elle croît moins vite que les revenus). Dans cette configuration, la valeur des actifs peut rester très élevée, puisque la valeur fondamentale des actifs est infinie : la somme actualisée des dividendes ou des loyers futurs tend vers l’infini tant que le taux d’intérêt est inférieur à la croissance.

Ensuite, la repentification de la courbe des taux d’intérêt a pour effet favorable de redresser la rentabilité des banques, en redressant les marges d’intermédiation, donc de rendre possible un supplément d’offre de crédit bancaire.

Troisième effet positif d’une remontée progressive des taux d’intérêt à long terme : cette remontée limite les risques de bulles sur les prix des actifs (actions, immobilier) et d’écrasement anormal des primes de risque. Les banques centrales sont de plus en plus critiquées parce que les taux d’intérêt très faibles poussent anormalement à la hausse les prix des actifs, ce qui accroît les inégalités patrimoniales, et parce que les investisseurs sont obligés de se réfugier dans des actifs trop risqués par rapport à leurs besoins normaux (obligations d’entreprises de faible rating, obligations de maturité très longue, actifs des pays émergents, même des pays en difficulté). Que les banques centrales limitent ces déséquilibres financiers en acceptant une hausse modérée des taux d’intérêt à long terme est donc plutôt une bonne nouvelle.

Enfin, des taux d’intérêt aussi bas qu’en 2020 sont une forme de répression financière : c’est une taxation des épargnants au profit des emprunteurs, qui s’ajoute à la pression fiscale officielle. La remontée des taux d’intérêt à long terme est donc en réalité une baisse de la pression fiscale, et doit, de ce fait, être accueillie favorablement. De plus, les taux d’intérêt à long terme très bas peuvent conduire à des comportements inefficaces. Il s’agit en particulier de l’effet de revenu, qui pousse les ménages à épargner davantage quand les taux d’intérêt sont bas pour stabiliser le revenu de leur épargne malgré la baisse des taux d’intérêt. Cela s’observait par exemple en France et en Allemagne avant la crise de la Covid, et conduit à un effet pervers de la baisse des taux d’intérêt, puisqu’on s’attend normalement à ce qu’elle fasse au contraire baisser l’épargne.

Une remontée modeste des taux d’intérêt à long terme (un taux d’intérêt à 10 ans aux Etats-Unis entre 2 et 2,5 %, un taux d’intérêt dans la zone euro entre 1 et 1,5 %, dans un an ou un an et demi) est donc davantage une bonne qu’une mauvaise nouvelle : elle reste suffisamment modeste pour ne menacer ni les économies ni les marchés financiers, et elle évite les déséquilibres et les distorsions créés par les taux d’intérêt très bas. 

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...