Rééquilibrer les politiques économiques : monétaire, budgétaire, salariale, commerciale

Publié le 20 septembre 2019 à 11h20    Mis à jour le 20 septembre 2019 à 17h44

Patrick Artus

La politique monétaire est devenue extrêmement expansionniste aux Etats-Unis (taux des Fed Funds à 2,25 % et taux d’intérêt à 10 ans à 1,6 %, pour une croissance nominale de 4 %), dans la zone euro (taux repo sur l’euro à 0 %, taux d’intérêt à 10 ans en Allemagne à - 0,6 %, pour une croissance nominale de 2,75 %) et au Japon (taux de base de la Banque du Japon à 0 %, taux d’intérêt à 10 ans de - 0,2 %, pour une croissance nominale de 1 %).

De plus en plus, on s’inquiète des effets négatifs, qui commencent à s’observer, des politiques monétaires très expansionnistes et des taux d’intérêt très bas : report de l’épargne vers la monnaie (qui rapporte 0 % sans risque), ce qui complique le financement de l’économie ; apparition d’une nouvelle bulle immobilière ; dégradation de la situation des banques et des sociétés d’assurance-vie ; spoliation des épargnants et appauvrissement des futurs retraités ; maintien en vie des entreprises «zombies» inefficaces ; disparition de l’information dans les prix des actifs avec la compression des primes de risque ; incapacité de la politique monétaire à réagir à un ralentissement de l’économie ; irréversibilité de cette politique une fois que toutes les dettes ont été accumulées à des taux d’intérêt très bas.

Pour éviter cette longue liste d’inconvénients des politiques monétaires très expansionnistes et des taux d’intérêt très faibles, il existe une solution : rééquilibrer les différentes politiques économiques de manière à pouvoir utiliser une politique monétaire légèrement plus restrictive.

Aux Etats-Unis, la politique budgétaire est très expansionniste (avec un déficit public de 5 % du produit intérieur brut en 2019, dû essentiellement aux baisses d’impôts sur les entreprises), mais, d’une part, la politique salariale est très restrictive, et, d’autre part, la politique commerciale affaiblit l’économie. De 1998 à 2019, le salaire réel y a augmenté de 18 % et la productivité du travail de 50 % : cette compression de 32 points du salaire réel (1,5 point par an) affaiblit considérablement la demande, imposant une politique monétaire très expansionniste en compensation.

Dans la période récente, la politique commerciale (les droits de douane imposés essentiellement sur les importations depuis la Chine) a certainement aussi contribué à affaiblir la croissance aux Etats-Unis ; même s’ils ne représentent que 100 milliards de dollars (0,12 % du PIB mondial), ils peuvent avoir un effet psychologique très défavorable sur les décisions d’investissement et de consommation, bien au-delà de leur effet mécanique.

Il serait clairement bien plus efficace aux Etats-Unis de rééquilibrer le partage des revenus en faveur des salariés, par exemple avec des hausses fortes du salaire minimum (les 30 % d’Américains en bas de l’échelle des revenus ont le même pouvoir d’achat qu’en 1990) et de ne pas affaiblir la demande par les droits de douane, ce qui permettrait de mener une politique monétaire moins expansionniste.

Dans la zone euro, le partage des revenus ne s’est pas considérablement déformé au détriment des salariés (de 1998 à aujourd’hui, le salaire réel a augmenté de 12 % et la productivité du travail de 14 %) ; il n’y a pas de politique protectionniste mise en place. Le problème est que la politique budgétaire est restrictive (le déficit public de la zone euro en 2019 n’est que de 1,1 % du PIB), ce qui vient essentiellement de la philosophie budgétaire de l’Allemagne, qui a encore un excédent budgétaire de 0,3 point de PIB en 2019 malgré la stagnation de sa croissance. Il serait beaucoup plus raisonnable, dans la zone euro, d’avoir un déficit public nettement plus élevé (on pourrait aller jusqu’à presque 3 % du PIB sans créer de problème de solvabilité budgétaire ou externe avec l’excédent extérieur) et de sortir des taux d’intérêt négatifs.

Au Japon enfin, s’il y a libre-échange et un déficit public assez important (2,4 % du PIB en 2019), la déformation du partage des revenus au détriment des salariés est considérable. De 1998 à 2019, le salaire réel a progressé de 1 % et la productivité de 17 %. Le Japon est un laboratoire très intéressant : il nous montre que, après vingt ans de taux d’intérêt zéro, l’inflation est toujours nulle malgré une politique monétaire extrêmement expansionniste. Corriger le partage des revenus aurait été une arme beaucoup plus efficace pour soutenir la demande intérieure et l’inflation.

La politique monétaire corrige les anomalies des autres politiques économiques : partage des revenus anormalement défavorable aux salariés aux Etats-Unis et au Japon ; politique budgétaire anormalement restrictive dans la zone euro ; protectionnisme aux Etats-Unis. En conséquence, la politique monétaire est devenue anormalement expansionniste, avec tous les dangers vus plus haut. Le rééquilibrage de la responsabilité du soutien de la demande entre toutes les politiques économiques est devenu une priorité.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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