Si l’inflation a vraiment disparu, que faut-il faire ?

Publié le 3 mai 2019 à 14h57    Mis à jour le 3 mai 2019 à 18h24

Patrick Artus

Malgré le retour au plein emploi ou à une forte tension sur le marché du travail (fortes difficultés d’embauche), on observe aujourd’hui que l’inflation sous-jacente (hors effets des prix des matières premières) est presque nulle au Japon, oscille en dessous de 2 % aux Etats-Unis, est stabilisée autour de 1 % dans la zone euro. De nombreux travaux de recherche expliquent cette disparition de l’inflation même au plein emploi dans les pays de l’OCDE.

Une partie de l’explication vient du fonctionnement des marchés des biens (développement du commerce en ligne, concurrence toujours forte des pays émergents), mais l’essentiel découle du fonctionnement des marchés du travail. Ceux-ci ont été rendus plus flexibles, les emplois créés le sont dans de petites entreprises de services peu syndicalisées, et de nouveaux comportements voient le jour. Ainsi, on observe aux Etats-Unis que, même au plein emploi, les salariés ne passent plus d’une entreprise à une autre pour obtenir un salaire plus élevé, ce qui semble résulter d’une collusion entre entreprises : elles se seraient implicitement mises d’accord pour ne plus essayer d’attirer les salariés de leurs concurrentes, ce qui, par le passé, faisait monter les salaires.

Au total, il semble bien que, aujourd’hui, la fin des cycles d’expansion ne fait plus revenir l’inflation dans les pays de l’OCDE.

La fin de l’inflation, si elle se confirme, aura des effets considérables sur les politiques monétaires, les cycles de l’économie réelle et les cycles financiers. Depuis les années 1980, presque toutes les banques centrales sont passées à une politique de contrôle de l’inflation («inflation targeting»). Dans la seconde moitié des périodes d’expansion, le retour de l’inflation salariale conduisait à la hausse des taux d’intérêt des banques centrales, d’où celle des taux d’intérêt à long terme, d’où le recul des prix des actifs (actions, immobilier), le désendettement, le recul de l’investissement et les récessions. On peut ainsi attribuer toutes les récessions depuis la Seconde Guerre mondiale au retour de l’inflation. Cela est vrai aussi pour la crise des subprimes en 2008. La forte poussée de l’inflation en 2007-2008, due aux hausses des salaires et aussi, à cette époque, à la hausse du prix du pétrole, a conduit à la hausse des taux d’intérêt, d’où le retournement à la baisse des prix de l’immobilier aux Etats-Unis, d’où la hausse des défauts des ménages sur les prix de l’immobilier, la crise de la titrisation des crédits immobiliers, la récession et la crise financière.

Si l’inflation ne réapparaît plus dans la seconde partie des périodes d’expansion, ce à quoi on assiste aujourd’hui, les taux d’intérêt resteront faibles, il n’y aura pas de retournement à la baisse des prix des actifs financiers ou immobiliers, pas de crise de l’excès d’endettement, et donc plus de récession : les cycles réels et financiers deviendront beaucoup moins importants.

Comment doivent réagir à ce nouvel environnement les banques centrales, les Etats, les investisseurs ? Les premières ne peuvent plus lier la politique monétaire à l’inflation, puisque celle-ci n’apparaît plus, même au plein emploi. Elles ont alors le choix entre deux stratégies. Soit lier la politique monétaire au cycle économique (au taux de chômage, au taux d’utilisation des capacités, ce qui est aujourd’hui le cas aux Etats-Unis) ; soit maintenir durablement des taux d’intérêt très bas en l’absence d’inflation, et compter sur les politiques macroprudentielles (ratios de bilan des banques, limites réglementaires à l’endettement – ratio maximum du crédit à la valeur du bien acheté, le loan-to-value ratio) pour éviter les déséquilibres financiers (excès d’endettement, bulles sur les prix des actifs).

Les Etats, si les banques centrales maintiennent continûment des taux d’intérêt bas en l’absence d’inflation, devront accepter d’utiliser plus activement les politiques budgétaires en cas de ralentissement cyclique de la croissance (s’il n’y a plus de récession, il subsiste des oscillations cycliques), puisque les banques centrales ne pourront pas baisser les taux d’intérêt, déjà très bas.

Les investisseurs, enfin, devront accepter des valorisations des actifs (actions, immobilier, LBO, etc.) plus élevées en raison du niveau en permanence bas des taux d’intérêt à long terme, alors qu’ils présentent encore aujourd’hui un assez fort rejet de ces valorisations fortes.

Au total, si l’absence d’inflation même au plein emploi se confirme, il faudra réaliser à quel point le fonctionnement de l’économie sera modifié : taux d’intérêt restant bas, d’où absence de récession et de crise financière, d’où valorisation légitimement forte de tous les actifs liés aux taux d’intérêt à long terme, nécessité de changer les principes de la politique monétaire et d’utiliser plus activement la politique budgétaire.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...