Future of finance - Dossier réalisé par Deloitte

La digitalisation de la fonction finance : retours d’expériences et meilleures pratiques opérées

Publié le 13 novembre 2017 à 17h17    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h11

Si la digitalisation est aujourd’hui devenue une nécessité au sein de l’ensemble des directions financières, toutes les entreprises n’ont pas adopté les mêmes organisations, ni les mêmes process. Ainsi, dans un environnement en pleine transformation, certaines directions financières choisissent de ne pas officialiser la fonction et de créer de nouvelles fonctions temporaires, agiles et transversales. D’autres, en revanche, optent pour de vastes équipes institutionnalisées, tandis que les plus petites entités choisissent d’œuvrer par percolation entre les directions. Un constat cependant commun à toutes les entreprises : quels que soient les outils et les process choisis, ce sont les collaborateurs de l’entreprises qui doivent porter les projets de transformation digitale. A l’occasion de la matinée Future of Finance organisée par le cabinet de conseil Deloitte, quatre dirigeants sont venus échanger autour de la mise en place du processus de transformation digitale : Karine Sirmain, Chief Officer Finance Transformation, Engie ; Philippe Heim, Group Chief Financial Officer, Société Générale ; Rodolphe Spina, CFO, Bayer ; et Nicolas Badré, CFO de Nexans, aux côtés de Cyrille Mallaret, Associé Finance Transformation Industries Services Distribution, Deloitte.

De quelle façon la transformation de la fonction finance est-elle incarnée au sein de vos entreprises ?

Karine Sirmain :

J’ai été très récemment nommée chief finance transformation officer au sein du groupe Engie. Durant ma carrière, je suis passée par tous les métiers de la finance : les fusions-acquisitions, la trésorerie ou encore la communication financière mais aussi les métiers à très forts enjeux de process comme la comptabilité. Je suis aujourd’hui en charge de la transformation de la fonction financière pour l’énergéticien Engie. J’appréhende ces nouvelles responsabilités comme une fonction à durée limitée : pour assurer une dynamique forte, en accord avec mes pairs et Judith Hartmann, Directrice Générale adjointe d’Engie en charge des Finances, j’ai ainsi opté pour une mission de 30 mois. De plus, pour responsabiliser l’ensemble de la fonction finance, je n’ai pas souhaité avoir une équipe en management hiérarchique : j’exerce donc ma mission en fonctionnel, au contact de tous au sein de la filière. A mon sens, la transformation de la finance est bien l’affaire de chacun et surtout pas l’exclusivité d’une équipe dédiée.

Philippe Heim :

Au sein du groupe Société Générale, nous avons mené une vaste réflexion autour de la transformation. Nous avons souhaité que cette fonction ne soit pas portée uniquement par la DSI au sein du pôle informatique, mais que la direction financière prenne en charge par elle-même les questions d’acculturation à ces nouveaux outils. Dans le secteur de la banque et de la finance, les challenges sont aujourd’hui très nombreux. Au sein de la fonction finance, nous devons produire et traiter de plus en plus de données de plus en plus rapidement. Ce challenge n’est pas uniquement une problématique de coûts, c’est également une problématique de temps qui suppose d’aller au plus vite pour explorer les nouveaux outils, qui, aujourd’hui peuvent nous accompagner. C’est dans ce contexte que nous avons créé le poste de Digital Information Office. Ce bureau est composé d’une équipe de 150 personnes qui traitent chaque mois des millions de données à destination de la FED, de la BCE et des autres parties prenantes. La transformation digitale est aujourd’hui l’envers et l’endroit de la fonction finance. Il n’est pas possible d’avoir une conception qui ne soit pas internationale et qui ne fasse pas appel aux nouveaux outils technologiques.

Rodolphe Spina :

Le cas de Bayer est assez différent de celui d’Engie ou de Société Générale. En effet, en qualité de filiale française d’un groupe international, beaucoup de questions sont traitées depuis l’Allemagne. Je constate néanmoins que nous sommes de plus en plus impliqués dans ce mouvement de transformation. En ce qui nous concerne, nous avons ainsi choisi de ne pas mettre en place de structure autonome dédiée à la transformation de la fonction finance, mais nous avons choisi de travailler de manière intégrée avec l’ensemble des fonctions. C’est-à-dire, qu’outre mes missions de directions financières, je suis également en charge de la transformation culturelle de l’entreprise. Il s’agit là d’un challenge important. Je dois ainsi parvenir à accompagner le changement sur un laps de temps préalablement déterminé. Cette mission est également à durée limitée et s’achèvera dans trois ans.

Nicolas Badré :

Au regard des grands groupes qui sont ici présents, le groupe Nexans est de taille réduite. Nous sommes spécialistes des systèmes de câblages électriques et de communication et nous avons choisi de lancer un vaste plan de transformation il y a maintenant deux ans et demi. Parmi les principaux axes de transformation, il y avait la question de savoir comment rendre les fonctions supports plus agiles et plus efficaces. Ma lettre de mission était ainsi de parvenir à réduire de 25 % le coût de la fonction financière en Europe sur une période courte, de 18 mois. Il nous a donc fallu tout réinventer, en spécialisant et harmonisant davantage les métiers : ceci a notamment concerné les contrôleurs de gestion en usine, moins «généralistes» et davantage focalisés sur le contrôle industriel et commercial. Au bout de 18 mois, les effectifs ont été réduits de 25 %, mais 80 % des équipes financières ont aujourd’hui un nouveau poste. Il s’agit là d’une transformation intégrée dans la vie quotidienne.

 

Certains secteurs sont-ils aujourd’hui plus en avance que d’autres ?

Cyrille Mallaret :

Je constate actuellement que certains secteurs sont particulièrement matures sur le sujet de la transformation de la fonction finance. Ainsi, le secteur financier, habitué à traiter beaucoup de données, est aujourd’hui en avance. Le secteur retail a également lancé de nombreuses initiatives, tandis que le secteur de l’industrie apparaît plus en retard.

Quel est le premier chantier mis en place dans le cadre d’une transformation digitale ?

Cyrille Mallaret :

La digitalisation des factures est, à mon sens, un très bon point de départ à la transformation des directions financières. Cela permet d’apporter des gains effectifs en termes de coûts, de façon très rapide. Cette première transformation est rapidement perceptible par les collaborateurs de l’entreprise et permet également d’améliorer les rapports avec les fournisseurs en réduisant les délais de paiements et en leur donnant accès à l’information.

Philippe Heim :

C’est tout à fait exact ! Le traitement des factures est l’une des fonctions que nous avons mutualisée le plus tôt dans l’entreprise en créant un centre de services partagé. Le groupe Société Générale étant présent dans 80 pays, c’est naturellement une zone de performance importante pour l’entreprise.

Rodolphe Spina :  

Au départ, nous avons commencé par travailler sur les outils, à l’instar du traitement automatisé des factures ou encore de la reconnaissance automatisée des caractères. La robotisation constitue un levier de performance important, permettant d’abaisser le coût de traitement d’une facture de 30 euros à 3 centimes.

Quels autres chantiers avez-vous lancés ?

Karine Sirmain :

Nous avons commencé par plancher sur nos fondamentaux, c’est-à-dire les données et les organisations. Pour ce faire, nous avons mis en place deux programmes clés.

Le premier est un projet de convergence de la donnée dans le paysage SAP. Il s’agit là d’un projet très engageant en termes de capex et qui mobilise déjà près de 150 personnes. Il faut savoir que nous avons actuellement bien plus de 100 ERP en service dans notre groupe. Grâce à ce projet de convergence, lorsque nos ERP sont en fin de vie, nous n’avons plus besoin de nous poser la question du paramétrage car la couche de convergence est déjà définie. Pour l’heure, nous avons déjà connecté une première activité du groupe. Il nous reste cependant encore plus d’une vingtaine d’autres activités à connecter sur cette couche de convergence !

Nous avons également lancé un autre programme clé autour des centres de services partagés, en créant un «global business service» doté de plusieurs lignes de métiers. Actuellement, le centre de services partagés comptable et financier regroupe de l’ordre de 800 personnes. Le potentiel est de 3 000 personnes, tandis que la fonction finance chez Engie regroupe au total quelque 5 000 personnes.

Par ailleurs, nous avons imaginé un digital lab destiné à tester des initiatives, de sorte à être proactifs en matière d’innovation.

Philippe Heim :

Au sein du groupe Société Générale, nous avons effectué un important travail sur la gestion des données qui constituent, à mon sens, le pétrole des entreprises. Il faut bien avoir à l’esprit que la fonction finance est fondamentalement un métier de maniement de la donnée. Nous sommes aujourd’hui face à un changement de paradigme : le passage du data warehouse classique à une donnée en vrac avec des corrélations. C’est dans ce contexte que nous avons imaginé un data lab, nous permettant de procéder en laboratoire.

La fonction finance doit-elle supporter seule l’investissement initial ?

Cyrille Mallaret :

Si la modification des modalités de traitement des données, depuis une organisation classique à un système de données multiples, permet à terme de réelles économies de coûts et de temps pour l’ensemble des collaborateurs des équipes finance, l’investissement initial demeure très conséquent ! Ces grands projets qui consistent à déverser de la donnée, afin que les reportings puissent par la suite combiner les données opérationnelles et les données finance, sont très onéreux. A tel point qu’il est très rare que le CFO puisse supporter lui-même la totalité de l’investissement initial. D’où la nécessité de parvenir à faire financer ces solutions par l’ensemble des fonctions en développant des cas d’usage.

Karine Sirmain :

Au sein du groupe Engie, nous avons très vite pris conscience de la valeur créée par la convergence des données. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de faire financer l’implémentation de ces outils par la fonction finance.

Ces nouveaux outils de gestion et d’analyse des données sont le préalable à la robotisation ?

Rodolphe Spina :  

Oui, sans conteste ! Toute transformation dans la gestion des données est aujourd’hui un préalable à la robotisation. Au sein du groupe Bayer, l’ambition affichée est aujourd’hui d’aller vers un système prescriptif permettant de mettre en place des analyses d’anticipation. Au niveau des ERP, nous sommes allés encore plus loin dans l’harmonisation à la source, avec 80 % du business traité via un ERP standard. Nous en sommes aujourd’hui à l’étape du diagnostic et nous nous dirigeons vers le prédictif, puis le prescriptif. Toutes ces évolutions vont être très rapides. D’où l’importance d’embarquer dès à présent l’ensemble des collaborateurs dans cette transformation.

Nicolas Badré :

Chez Nexans, nous sommes dès à présent en phase de tests sur des outils permettant d’opérer des analyses prédictives. Nous avons ainsi mis en place deux expériences prédictives. La première a été implémentée en usine, via la mise en place d’un «machine learning» qui essaye d’optimiser en permanence le processus d’extrusion, c’est-à-dire le process de dépose de l’isolant sur un câble. La deuxième expérience prédictive a été mise en place dans les services commerciaux. Il s’agit d’une expérience prédictive de pricing qui permet d’affiner les tarifs  en fonction du type et de l’historique de commande des clients. Cette solution est complexe à mettre en oeuvre, mais il s’agit cependant d’un véritable outil d’aide à la décision. Il faudra du temps, mais je suis convaincue qu’à terme cette solution nous permettra de réaliser de réelles économies de temps et de coûts.   

Comment embarquer tous les collaborateurs dans la transformation digitale ? Quels sont les facteurs clés de succès ?

Nicolas Badré :

A mon sens, une approche purement «topdown» n’a aucun sens ! Il faut donc réussir à avoir une routine de communication, sans jamais omettre de partager les initiatives locales. Cependant, partager les bonnes pratiques ne suffit pas, il faut ensuite structurer, expliquer et former. Pour ce faire, nous avons eu recours à des conseils en gestion du changement pour nous accompagner. Par ailleurs, il est à mon sens essentiel d’expliquer et de faire preuve de pédagogie auprès de l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise. Il faut également admettre que par moments, il existe des inadéquations de profils. Faire simplement évoluer les compétences en interne ne suffit pas toujours. Il faut ainsi parfois aller chercher à l’extérieur des compétences qui n’existent pas au sein de l’entreprise. Enfin, je pense qu’il faut être à même d’accepter ses propres limites. En effet, je pense que chez Nexans, il serait illusoire de croire que nous pouvons nous doter en interne d’un digital lab doté d’une cinquantaine de collaborateurs !  

Rodolphe Spina :

Il faut à mon sens que le top management soit impliqué de façon très concrète, en donnant l’exemple, via par exemple l’utilisation des nouveaux outils. Par ailleurs, sur l’approche culturelle, au-delà de la digitalisation nous avons créé un groupe en interne qui travaille sur les approches terrain pour pouvoir élaborer une approche virale sur les autres personnes. Les membres de ce groupe sont issus de fonctions différentes et ont également des statuts différents, ce qui permet de donner de la crédibilité à l’ensemble de nos actions. Nous développons de plus en plus des doubles, voire des triples responsabilités de sorte à pouvoir travailler la transversalité.

Philippe Heim :

Ce que je retiens de l’expérience au sein de Société Générale c’est que l’adoption implique une vision globale de la transformation. Il faut que celle-ci soit incarnée et portée par le management de l’entreprise en mixant les impulsions en provenance du management avec des initiatives en provenance de la base. Seule l’addition de ces deux forces permet, à mon sens, de faire changer une entreprise. Chaque manager doit pouvoir porter cette ambition de transformation afin de l’insuffler aux équipes.

Karine Sirmain :

Je dirais que tous les moyens sont bons pour favoriser l’adoption ! Chez Engie, la Finance a par exemple la chance de pouvoir s’appuyer sur un écosystème interne tout à fait favorable à la conduite du changement, lui-même étant porté par le plan de transformation 2016-2018 du Groupe destiné à faire d’Engie le leader de la transition énergétique dans le monde. Si je ne devais donner que deux autres exemples de leviers à activer pour assurer faire adhérer le plus grand nombre, je citerais : l’appui sur des outils déjà puissants et la mobilisation de réseaux informels au-delà des cercles de décision habituels.

Les outils puissants auxquels je pense, ce sont bien évidemment nos réseaux sociaux internes  qui permettent notamment d’identifier les influenceurs. Il s’agit finalement d’utiliser toutes les techniques du marketing, pour les appliquer à nos propres besoins.

Quant aux réseaux informels à mobiliser, je pense plus particulièrement aux jeunes. Engie a ainsi mis en place un «young professional network» qui regroupe les moins de 35 ans. Selon moi, savoir capitaliser sur ces réseaux afin de leur demander de contribuer à certaines thématiques peut être source d’initiatives et d’incitation forte à bouger.

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