La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2014

«Treaty shopping» : lorsque invoquer une convention fiscale devient suspect

Publié le 20 juin 2014 à 17h53

Michel Collet

La planète fiscale est en ébullition. Les pays du G20 sont décidés à contrer l’«érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices» de façon multilatérale ou tout du moins coordonnée. S’en est suivi le lancement d’un plan de 15 actions, qui devront être approuvées par le Comité des affaires fiscales de l’OCDE en juin avant d’être soumises au prochain G20 les 20 et 21 septembre à Cairns, en Australie. L’action 6 vise à lutter contre le «treaty shopping».

Par Michel Collet, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale.

Cette question est susceptible d’intéresser tout investisseur, fonds ou non, utilisant des sociétés holding ou sous-holdings souvent par région d’investissement dans le souci de privilégier la plus grande neutralité fiscale des investissements (faible imposition des plus-values de revente et absence de retenues à la source sur les remontées successives de dividendes ou de redevances). Les propositions faites ne manquent pas d’inquiéter et risquent d’entraîner une réelle incertitude fiscale pour les investisseurs internationaux. La première proposition principale consisterait à généraliser dans toutes les conventions fiscales l’adoption de règles d’inspiration américaine dites de «limitation de bénéfice» ou «LOB». Être résident fiscal au regard de la convention ne suffirait plus, encore faudrait-il être une «personne qualifiée». En très simple, pour une société, il faudrait soit être détenue par d’autres personnes qualifiées sur son territoire (personnes physiques, société cotée, fonds de pension), soit être l’une de ces entités.

On relèvera que, pour qu’une société cotée puisse se prévaloir de la convention, encore faut-il qu’elle le soit dans son pays de résidence. Cela apparaît exagérément restrictif tant des sociétés françaises n’hésitent plus à être cotées aux Etats-Unis ou à Hong Kong. Elles peuvent néanmoins se prévaloir de la convention si leur siège de direction («management») et de contrôle est situé dans leur lieu d’établissement. Même si cette dernière notion est définie, elle devrait s’avérer source de difficultés et d’incertitudes pour les groupes internationaux. La convention peut être néanmoins invoquée sur un revenu reçu par une personne non qualifiée depuis l’autre Etat si cette dernière exerce une activité économique dans son Etat ou dans l’autre Etat. Enfin, les autorités compétentes pourraient reconnaître le bénéfice de la convention si aucune condition n’était remplie.

Cette clause LOB s’avère trop restrictive, complexe et ignore les modes de gestion des groupes internationaux. Certains objecteront que les opérateurs deviennent otages des autorités pour résoudre les probables difficultés d’interprétation. Jusqu’à présent, l’administration française prêtait peu d’égards aux LOB de la convention avec les Etats-Unis ou le Japon, tant cette approche objective de la lutte contre les abus ne correspond pas à notre méthode plus subjective fondée sur la motivation de l’investisseur. Elle s’oppose d’ailleurs à cette approche jugée trop anglosaxonne. L’Administration ne sera pas en reste : il est également prévu que, même si toutes les conditions conventionnelles étaient remplies, et y compris la LOB, les administrations pourraient denier le bénéfice de la convention s’il s’avérait que l’un des motifs principaux de l’arrangement ou de la transaction était de bénéficier de la convention. Les conventions fiscales récentes signées par la France retiennent des réserves comparables.

C’est au tour des Américains de protester contre cette approche subjective jugée hasardeuse. Comme l’a noté le Conseil constitutionnel à propos de la tentative de réforme de notre abus de droit, un but principalement fiscal laisse une trop grande marge d’appréciation à l’Administration qui pourrait conduire à l’arbitraire. Par ailleurs, chaque administration pourra avoir sa propre interprétation. Inutile de rappeler que cette nouvelle condition sera source d’une très grande instabilité sans procédure rapide d’agrément le cas échéant auprès des autorités compétentes. Il peut être utile dès aujourd’hui de s’interroger sur la solidité des structures internationales et intermédiaires au regard de ces nouvelles approches et de se préparer à de nouveaux développements.

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Au sommaire de la lettre


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