La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2019

Assemblées générales : voter n’est pas décider

Publié le 22 mars 2019 à 16h17

Jean-Thomas Heintz et Louis-Nicolas Ricard

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation revient sur l’épineuse question de la suppression du droit de vote et valide une clause d’exclusion dans laquelle l’intéressé a pu voter sans que son vote n’ai été pris en compte.

Par Jean-Thomas Heintz, avocat associé en corporate/fusions & acquisitions de CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats. Il intervient en matière de restructurations de groupes de sociétés et de fusions-acquisitions pour des clients tant français qu’étrangers. jean-thomas.heintz@lyon.cms-fl.com et Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer en corporate/fusions & acquisitions. louis-nicolas.ricard@cms-fl.com

Afin de donner sa pleine efficacité à une clause d’agrément ou une clause d’exclusion, les parties souhaitent fréquemment que la décision puisse être prise sans que l’intéressé n’ait voix au chapitre. Mais la validité de ces clauses pose de nombreuses difficultés.

Un arrêt récent1, rendu en matière de sociétés civiles de moyens (SCM) mais transposable aux sociétés commerciales, revient sur la question de la valeur du droit de vote d'un associé et, plus particulièrement, sur la validité d'une clause portant atteinte à ce droit.

Un associé d'une SCM, qui exerce la profession de médecin, est exclu à l'occasion d'une assemblée générale (AG) en application d'une clause selon laquelle «lorsque la société comprend au moins trois associés, l'AG, statuant à l'unanimité des voix moins les voix de l'associé mis en cause peut, sur proposition de tout associé, exclure tout membre de la société pour les causes suivantes (...)». L'associé visé par la procédure d'exclusion avait donc le droit de participer aux décisions collectives et de voter, sans avoir pour autant un droit à contribuer à leur adoption, sa voix n'étant pas comptabilisée pour le calcul de la majorité nécessaire à l'adoption de la résolution. Estimant cette clause contraire à l'article 1844 du Code civil, en ce qu'elle l'aurait privé de son droit de vote, l'intéressé a assigné la SCM en annulation de son exclusion et réparation de son préjudice. Devant le refus des juges du fond de faire droit à sa demande, l'associé exclu s'est pourvu en cassation.

Son pourvoi est rejeté. La Cour de cassation considère qu'en dépit d'une rédaction malheureuse, l'intéressé a émis un vote dont il a été tenu compte et approuve la Cour d'appel ayant exactement déduit que «la décision de son exclusion s'est trouvée acquise en raison de l'unanimité des voix des autres associés qui y étaient favorables».

On sait que l'article 1844 du Code civil interdit notamment aux associés de priver un associé de son droit de participer aux décisions collectives et de voter sur sa propre exclusion. Les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi2.

Si la possibilité de créer des actions de préférence sans droit de vote a permis de douter du caractère essentiel de ce droit de l’actionnaire, la pratique a cependant entériné cette prérogative au vu des conditions liées à leur mise en place et à la jurisprudence de la Cour de cassation ayant affirmé que les statuts ne peuvent pas supprimer le droit de vote d’une action3.

Faute de pouvoir supprimer le droit de vote d’un associé en dehors des cas prévus par la loi ou du mécanisme des actions de préférence, la pratique a donc été contrainte d'imaginer diverses techniques palliatives afin de contourner l'obstacle du droit de vote de l'associé exclu.

Les solutions les plus usuelles résident dans l’attribution du pouvoir d’agrément ou d’exclusion d’un associé à un organe collectif autre que l’AG ou encore dans l’aménagement des droits de vote afin de modifier le poids respectif des associés (par exemple : vote par tête).

L’arrêt du 24 octobre 2018 valide une pratique visant à permettre à l’intéressé de prendre part au vote sans que son vote ne soit pris en compte.

En l'espèce, la décision semble induire une évolution raisonnable : peu importe que le droit de vote puisse ou non être utilement exprimé du moment que le droit de participer est maintenu en son principe. Dans cette optique, la validation d'une exclusion décidée à l'unanimité des voix moins celle de l'associée n'est donc pas sans intérêt pratique.

1. Cass. com., 24 oct. 2018, n° 17-26.402.

2. Cass. com., 23 oct. 2007, n° 06-16.537.

3. Cass. com., 9 févr. 1999, Château d’Yquem, n° 96-17.661.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Droits de vote et de veto : le pouvoir des associés

Alain Couret

L’attention s’est souvent portée sur le droit de vote ces dernières années. Un sujet privilégié par la presse économique est celui de la démocratie actionnariale. L’Autorité des marchés financiers a, dans cette perspective, beaucoup œuvré pour promouvoir une amélioration du fonctionnement des assemblées générales (AG). Certes, mais on nous objectera aussitôt que la démocratie actionnariale est une problématique qui interroge plus les sociétés du CAC 40 que le private equity. D’abord parce que les sociétés anonymes (SA) sont, dans ce dernier secteur, moins nombreuses que les sociétés par actions simplifiées (SAS). Ensuite, et compte tenu de la très grande souplesse de ces SAS, les décisions collectives ne sont même pas nécessairement prises en AG.

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