La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2014

Les critères de la «substance» posés par le CAD sont-ils toujours pertinents ?

Publié le 10 octobre 2014 à 12h08    Mis à jour le 10 octobre 2014 à 15h36

Thierry Granier et Benoît Foucher

Depuis que Pierre Collin, dans ses conclusions sous l’arrêt Sagal, a consacré la substance comme critère discriminant en matière d’abus de droit, plusieurs avis du Comité de l’abus de droit fiscal (CAD) sont venus préciser les contours de cette notion. Récemment, le CAD a rappelé que, lorsqu’une société est interposée au sein d’une chaîne de détention, celle-ci doit pleinement jouer son rôle et que l’interposition de sociétés, souvent «étrangères», sans substance peut être sanctionnée sur le fondement de l’abus de droit fiscal. Si l’on écarte l’hypothèse caricaturale de la boîte aux lettres immatriculée sur Internet1, on peut parfois s’interroger sur la pertinence de certains des éléments retenus par le CAD pour caractériser le défaut de substance de sociétés.

Par Thierry Granier, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale, intervenant en matière de private equity dans les opérations de financement et d’acquisition dans un contexte international. Il assiste plusieurs fonds d’investissement et établissements financiers dans leurs opérations à dimension internationale. Et Benoît Foucher, avocat spécialisé en fiscalité internationale et dans les aspects fiscaux des financements structurés. En matière de private equity, il intervient dans les opérations de financement et d’acquisition dans un contexte international. Il assiste plusieurs fonds d’investissement et établissements financiers dans leurs opérations à dimension internationale.

Les holdings pures (2)

Madame A avait transféré sa résidence fiscale en Belgique en 1999. En 2004, elle a apporté les titres qu’elle détenait dans une société française X à une holding néerlandaise Y, afin de ne détenir directement que des titres non français. Mettant en œuvre la procédure de l’abus de droit, l’Administration a réintégré les titres de la société française dans l’assiette de l’ISF 2005 à 2007. Pour estimer que l’abus de droit était caractérisé, le Comité a constaté qu’il résultait de l’ensemble des éléments apportés par l’Administration que la société Y était dépourvue de tout moyen humain et matériel, qu’elle ne réalisait aucun chiffre d’affaires et n’avait d’autres frais que de conseil et de notaire (3).

Ces seuls éléments ne nous semblent pas forcément pertinents, s’agissant d’une holding pure. On rappelle en effet que tant le Conseil d’Etat que le CAD ont déjà estimé que la substance d’une holding pouvait être réduite. En revanche, le Comité a également noté que Mme A avait continué, après l’échange de titres, à assurer la gestion des actifs familiaux à travers la société X qu’elle continuait à diriger. L’interposition de la holding néerlandaise était donc artificielle.

Les sociétés immobilières (4)

Une société luxembourgeoise (la SARL X) avait pour objet l’acquisition et la vente de biens immobiliers. La SARL X avait créé cinq sociétés immatriculées au Danemark et dont elle détenait l’intégralité des parts. Ces sociétés ont procédé chacune à l’acquisition d’actifs immobiliers français ou de parts de sociétés françaises à prépondérance immobilière. Ces sociétés danoises ont ensuite rapidement revendu ces biens à des sociétés françaises, dégageant à cette occasion une plus-value globale de 70 millions d’euros, plus-value exonérée en France sur le fondement de la convention franco‑danoise alors en vigueur.

Le CAD a estimé que l’administration fiscale était fondée à remettre en cause l’exonération de plus-value sur le fondement de la procédure de l’abus de droit au motif que le centre économique des opérations immobilières en cause se situait en réalité au Luxembourg.

Le CAD s’est notamment fondé sur les éléments suivants : les sociétés danoises étaient dénuées de toute substance (elles ne disposaient d’aucun salarié, ni d’aucun moyen d’exploitation et n’avaient réalisé aucun chiffre d’affaires) et l’ensemble des démarches nécessaires à l’achat et à la revente des biens concernés avait été réalisé par la SARL X, et ce, avant la création des sociétés danoises.

Là encore, l’absence de salariés ou de moyens d’exploitation ne nous semble pas forcément pertinente, étant précisé que de façon surprenante, le CAD tire argument de l’activité de la société luxembourgeoise SARL X, vraisemblablement une société ne disposant ni de salariés, ni de moyen d’exploitation, et sans chiffre d’affaires, pour justifier de l’absence de substance des sociétés danoises. Par ailleurs, les sociétés danoises avaient pris un réel risque d’investisseur en s’endettant lourdement pour acquérir les immeubles à l’orée de la crise financière. Cet aspect nous semble bien plus pertinent pour écarter la notion de montage artificiel que l’existence de moyens d’exploitation ou de salariés.

La substance des transactions (5)

Le CAD a récemment eu à connaître d’une opération dite de «repo». De façon extrêmement schématique, une société française S avait acquis des actions ordinaires et des actions de préférence sans droit de vote émises par une société américaine Z et elle s’était engagée à les revendre à Y, société de droit américain mère de Z. L’Administration a remis en cause l’application du régime des sociétés mères aux dividendes versés au titre des actions de préférence sur le fondement de l’abus de droit en estimant que la transaction déguisait un prêt consenti par S à Y, prêt garanti par la remise des titres Z, et qu’en conséquence, les sommes reçues par S étaient des intérêts et non des dividendes.

Le Comité a donné raison à l’Administration. Sans revenir en détail sur les motifs de l’avis, deux motifs nous semblent directement liés à la substance. Substance générale de la transaction tout d’abord : le Comité relève que la transaction n’était justifiée par aucun motif économique, mais seulement par la volonté de réduire la charge d’impôt du groupe X en France tout en maintenant la déduction aux Etats-Unis de la rémunération des fonds prêtés à la société Y. Substance de la société ayant émis les actions de préférence ensuite : la société Z ne disposait d’aucun salarié, n’avait réalisé aucune prestation, n’avait effectué aucun investissement autre que la détention des titres des filiales opérationnelles nord-américaines détenues antérieurement par la société Y, n’avait constaté aucun dividende en provenance de ces filiales et étant dirigée par des administrateurs de la société Y, tandis que la société S ne disposait d’aucun représentant au conseil d’administration.

Il nous semble que le CAD sera forcément tenu de se livrer à une analyse au cas par cas de ces opérations de repo. En effet, d’une part, la restructuration opérée aux Etats-Unis peut être justifiée par un motif autre que fiscal (acquisition d’une société tierce, restructuration d’un groupe pour des raisons opérationnelles, etc.) et d’autre part, la société ayant émis les actions de préférence peut être une société opérationnelle dont les organes de direction jouent pleinement leur rôle.

1. CAD, Aff. n° 2013-23.

2. CAD, Aff. n° 2013-02.

3. Pour une analyse similaire, au cas d’une holding constituée pour échapper à la retenue à la source sur les dividendes : CAD, Aff. n° 2013-25.

4. CAD, Aff. n° 2013-53.

5. CAD, Aff. n°2013-44.


La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Gestion fiscale des actifs incorporels

Michel Collet et Johann Roc’h

La phase suivant l’acquisition par un fonds d’investissement d’un groupe cible est souvent l’occasion pour les nouveaux investisseurs de réaliser un diagnostic de la gestion fiscale des actifs incorporels.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...