La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Juin 2021

Le droit des sociétés au service d’une économie de marché responsable

Publié le 18 juin 2021 à 11h42

En intégrant au droit commun des sociétés la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, et en permettant aux sociétés de préciser une raison d’être dans leurs statuts, la loi Pacte contribue à l’objectif ambitieux de repenser la place de l’entreprise dans la société.

Par David Mantienne, avocat counsel en corporate/fusions et acquisitions. Il intervient principalement en matière d’opérations de fusion-acquisition, de private equity et de restructuration de groupes de sociétés, pour des clients tant français qu’étrangers.

david.mantienne@cms-fl.com

Signe des temps, la réécriture par la loi Pacte du 22 mai 20191 des articles 1833 et 1835 du Code civil - qui s’appliquent à toutes les sociétés, quels qu’en soient la forme, l’objet et la taille - marque une étape nouvelle en matière de RSE. Préconisée par le rapport Notat-Sénard (« L’entreprise, objet d’intérêt collectif »), elle traduit une double volonté : infléchir le court-termisme qui guide souvent la gestion des entreprises, et dépasser la finalité exclusivement lucrative des sociétés, constituées d’abord et avant tout pour enrichir leurs associés.

Aux termes du second alinéa venu compléter l’article 1833 du Code civil, « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cette disposition impérative impose donc désormais aux dirigeants de s’interroger sur ces enjeux (tant en termes de risques que d’opportunités) et de les considérer avec attention dans le cadre de leurs décisions de gestion. Bien qu’une société soit gérée dans la poursuite des fins qui lui sont propres, l’empreinte sociale et environnementale de son activité ne peut plus être ignorée et s’invite donc comme composante obligatoire de la réflexion des organes de direction.

Définir l’ADN de l’entreprise

Également destinée à concilier les fonctions économique et sociétale de l’entreprise, la faculté offerte par l’article 1835 du Code civil d’inscrire une raison d’être dans les statuts d’une société permet d’exprimer un « futur désirable pour le collectif ». La raison d’être peut se définir comme l’affirmation des valeurs (par essence vertueuses) qui font l’identité de la société, et que celle-ci entend promouvoir durablement dans la réalisation de son objet social. Aussi y trouve-t-on souvent mentionnées des préoccupations d’ordre écologique, de santé publique, d’éducation, de développement durable ou de solidarité, qui devront guider la société dans l’exercice de son activité (et pour le respect desquelles celle-ci se doit d’affecter des moyens) et apporter un contrepoint utile au critère financier de court terme.

A condition de ne pas être dévoyée en objet marketing en se voyant réduite à un simple instrument de « greenwashing », la raison d’être est susceptible de constituer un outil pertinent à l’effet de concilier profitabilité et recherche du long terme. Elle peut aussi incontestablement constituer un facteur d’attractivité pour une entreprise, en lui permettant d’attirer des partenaires (qu’il s’agisse de talents, de clients, de sous-traitants, d’investisseurs, etc.) en phase avec les valeurs qu’elle affiche. On pense ici notamment aux fonds « ISR » (investissements socialement responsables) tournés vers le financement d’activités relevant d’un modèle économiquement responsable.

La raison d’être peut également influer sur les opérations de fusion-acquisition auxquelles se livre un groupe, par exemple en l’obligeant à rechercher des cibles compatibles avec son propre ADN tel qu’il l’aura lui-même défini, ou au contraire en s’efforçant de pérenniser celui-ci au sein d’une entité qu’il viendrait à céder.

Ces dispositions nouvelles n’en sont pas moins engageantes pour les sociétés. Celles d’entre elles qui inscrivent une raison d’être dans leurs statuts sont tenues de s’y conformer. Se pose dès lors la question de savoir dans quelle mesure des tiers étrangers à la société concernée pourraient, dès lors qu’ils justifieraient d’un intérêt à agir (ce dont pourraient toutefois aisément se prévaloir des ONG ou des associations de protection diverses), venir rechercher sa responsabilité civile en cas de manquement par celle-ci à sa raison d’être.

1. Loi n° 2019-486

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Au sommaire de la lettre


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