La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2020

L’opposabilité de la doctrine administrative encadrant l’absence de convention franco-danoise conditionnée à l’application initiale du texte auquel elle se rapporte

Publié le 16 octobre 2020 à 8h47

Par Florian Rodriguez, avocat, et Mathilde Blandino, PwC Société d’Avocats

Depuis le 1er janvier 2009, les relations diplomatiques franco-danoises ont la particularité d’être marquées par l’absence de convention fiscale d’élimination des doubles impositions. Le Danemark a en effet dénoncé, en date du 10 juin 2008, l’ancienne convention fiscale liant nos deux pays depuis sa conclusion le 8 février 1957.

La doctrine administrative palliant l’absence de convention franco-danoise

Le contribuable, comme la nature, a horreur du vide. C’est pour cette raison que l’administration fiscale a, par une instruction publiée dès l’été 2010, entendu régler au moins partiellement les éventuelles situations de double imposition pouvant surgir dans un contexte franco-danois1.

Cette doctrine administrative, toujours reprise au BOFiP2, prévoit notamment un mécanisme d’atténuation, voire d’élimination, de la double imposition dans le cas où un contribuable danois se verrait appliquer une retenue à la source sur des rémunérations de source française, au titre de l’article 182 B du CGI3.

D’après ledit mécanisme, lorsqu’un résident du Danemark est imposé en France au titre des dispositions de l’article 182 B et apporte la preuve (i) que la législation danoise ne lui permet pas d’imputer l’intégralité de l’imposition subie en France sur l’impôt dû au Danemark, et (ii) qu’il a subi en France une imposition plus lourde (en raison de l’applicabilité de la retenue sur une base brute) que celle à laquelle il aurait été soumise s’il avait été résident de France (en étant soumis à ce titre à une obligation fiscale illimitée sur une base nette), il peut solliciter par voie contentieuse le reversement de la fraction de l’impôt payé en France qui excède celui auquel il aurait été soumis s’il avait été résident de France, dans la limite de l’imposition non imputée au Danemark. Une telle demande, qui peut alternativement être diligentée par le bénéficiaire danois des sommes ou par la partie versante en France, doit dans tous les cas être assortie de documents permettant d’apprécier les conditions de fond précitées.

Dans une décision récente du 9 septembre 2020, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la possibilité pour une société française, débitrice de sommes versées en rémunération de prestations de services entrant dans le champ de l’article 182 B du CGI, de se prévaloir d’une telle tolérance administrative, dans le cadre d’un redressement, alors qu’elle n’avait pas spontanément acquitté la retenue à la source correspondante ni ne s’était conformée aux obligations déclaratives qui y sont attachées4.

Une doctrine opposable par le débiteur français, sous réserve d’avoir fait application du texte fiscal et initialement prélevé la retenue

En l’espèce, à l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a mis à la charge d’une société française la retenue à la source prévue par les dispositions de l’article 182 B, I, c du CGI, que cette dernière a manqué de prélever spontanément sur les sommes versées en rémunération de prestations de services fournies par sa société mère danoise au cours des exercices clos en 2009, 2010 et 2011.

Suite au rejet de sa réclamation et de ses requêtes devant les juridictions administratives de droit commun5 puis d’appel6, visant notamment à obtenir l’application de la tolérance administrative précitée aux fins d’atténuer l’application de la retenue à la source de droit interne, la société versante a saisi le Conseil d’Etat.

A l’appui de son pourvoi, la requérante a ainsi soulevé, sur le fondement du deuxième alinéa (devenu troisième alinéa) de l’article L. 80 A du Livre des procédures fiscales («LPF»), l’opposabilité de la tolérance contenue dans la doctrine administrative venant préciser les conséquences de la dénonciation de la convention franco-danoise.

Or, comme cela a pu être soulevé par les juges du fond, la mise en œuvre de l’article L. 80 A du LPF suppose, conformément à la lettre de cette disposition, que le redevable ait appliqué un texte fiscal selon l’interprétation publiée par l’administration fiscale.

Le Conseil d’Etat, suivant ainsi l’approche retenue par l’administration et les juges du fond, a rejeté l’opposabilité de ladite doctrine administrative au motif que la société française versante n’avait pas fait elle-même application des textes fiscaux alors applicables, en s’étant abstenu de prélever les retenues à la source (article 182 B du CGI) et de souscrire les déclarations auxquelles elle était tenue au titre des versements effectués (article 1671 A du CGI). La mise en œuvre desdits textes par l’administration (et non par la société redevable), dans le cadre d’un redressement, ne saurait dès lors selon la haute juridiction administrative permettre au redevable de se prévaloir de l’opposabilité de la tolérance doctrinale.

Cette décision, qui fournit une illustration intéressante des conditions pratiques d’opposabilité de la doctrine administrative relative aux relations franco-danoises, procède en soi d’une application logique de l’article L. 80 A du LPF en rappelant la nécessaire application spontanée, par le redevable, de la retenue à la source prévue à l’article 182 B du CGI.

Elle est par ailleurs l’occasion de mettre une fois encore en évidence les enjeux et difficultés pouvant émerger de l’absence de convention fiscale bilatérale entre la France et le Danemark7.

Gageons que cette situation ne perdurera pas trop longtemps encore, au regard de la reprise des négociations entre les deux pays à la suite de l’accord de principe sur l’imposition des pensions – principale cause de la dénonciation de la précédente convention par le Danemark – trouvé en avril 2019. 

1. Instruction 14-B-2-10 du 29 juillet 2010 venue préciser les conséquences attachées à la dénonciation par le Danemark de la convention fiscale franco-danoise. 2. BOI-INT-CVB-DNK, n° 130.

3. Pour rappel, l’article 182 B, I, c du CGI prévoit que les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France sont soumises à retenue à la source lorsqu’elles sont payées par un débiteur qui exerce une activité en France à des non-résidents qui n’ont pas d’installation professionnelle permanente en France.

4. CE, 8e et 3e chambres réunies, 9 septembre 2020, n° 434364.

5. Jugement du tribunal administratif de Montreuil, 30 juin 2016.

6. CAA de Versailles, 9 juillet 2019, n° 16VE02825.

7. CAA de Versailles, 15 novembre 2016, n° 15VE01251, Société Vétoquinol SA ; CE, 8e-3e ch., 24 octobre 2018, n° 413935, Sociétés SimCorp A/S et SimCorp France


La lettre gestion des groupes internationaux

Plus-values immobilières des non-résidents : de quelques incertitudes et difficultés pratiques

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...