La lettre gestion des groupes internationaux

Décembre 2020

Editorial - La révolution de la fiscalité internationale n’est pas pour 2020 : rendez-vous l’année prochaine ?

Publié le 2 décembre 2020 à 10h10    Mis à jour le 3 décembre 2020 à 11h31

Le Cadre inclusif sur le BEPS qui regroupe 129 pays s’était mis d’accord, en mai 2019, sur un Programme de travail pour relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Au terme de ce programme, une solution de long terme devait être approuvée par consensus fin 2020. Le calendrier était alors jugé «extrêmement ambitieux» au regard des incidences importantes qu’elle aurait sur le système fiscal international.

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats.

Le champ d’application de ce système d’imposition complémentaire est limité aux plus grandes entreprises multinationales (certaines exclusions sont prévues), celles réalisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros. Ce seuil, qui correspond à celui de la déclaration pays par pays (plus connu sous l’acronyme CbCR pour «country-by-country reporting»), est élevé et permet, selon l’OCDE, d’exclure 85 à 90 % des groupes multinationaux de son champ d’application tout en couvrant 90 % des revenus des groupes de sociétés.

A l’heure actuelle, le système d’imposition international des bénéfices des entreprises distingue les Etats selon deux qualités : l’Etat de résidence et l’Etat source.

L’Etat de résidence d’une entreprise impose les profits de celle-ci1 tels qu’ils sont déterminés par l’application du principe de pleine concurrence. Ce principe conduit à calculer les profits des entreprises faisant partie d’un groupe de sociétés «comme si» cette entreprise était indépendante et que toutes ses transactions étaient réalisées avec des tiers. Exceptionnellement, l’Etat de résidence peut imposer les profits des filiales étrangères de l’entreprise résidente2.

L’Etat source impose les bénéfices des entreprises étrangères dans deux situations : lorsque celles-ci reçoivent des revenus passifs ayant leur source sur leur territoire (e.g. intérêt, dividendes, etc.) ou lorsqu’elles y réalisent des bénéfices et qu’elles disposent d’une présence physique significative3 dans ledit Etat source.

Ce système international de répartition fait l’objet, dans le cadre du projet GloBE, d’une revue dont les orientations et les propositions de réformes s’articulent autour de deux Piliers décrits dans des documents, dits «Blueprints», publiés par l’OCDE le 12 octobre 2020.

Le premier Pilier porte sur la répartition, entre les Etats, des droits d’imposition des profits tirés du numérique d’une part, de la commercialisation de biens et services de consommation d’autre part4. Il a pour objectif d’ajouter au lien territorial – i.e. la présence physique permettant d’imposer les bénéfices des sociétés étrangères –, un nouveau «nexus» permettant d’étendre ou de créer des droits d’imposition pour les juridictions du marché, c’est-à-dire les juridictions dans lesquelles se trouvent les consommateurs ou, pour les entreprises du secteur numérique, les utilisateurs5. Cette nouvelle répartition a donc pour conséquence de répartir la base imposable avec un troisième acteur, l’Etat de commercialisation. En s’appuyant sur de nouvelles modalités de calcul du profit réallouable aux juridictions de marché6, il a en outre une incidence sur le principe de pleine concurrence.

Selon les estimations fournies dans le cadre du Blueprint du Pilier 1, une augmentation des recettes fiscales mondiales d’impôt sur les sociétés de l’ordre de 5 à 12 milliards de dollars est attendue.

Le Pilier 2 porte sur des problématiques rémanentes d’érosion de la base fiscale et de transfert de bénéfices. L’objectif est d’autoriser les pays à «récupérer l’impôt sur les bénéfices» des sociétés si d’autres Etats n’ont pas exercé leur droit initial d’imposition ou les ont assujetties à un faible taux d’imposition effectif afin d’atteindre un taux minimal d’imposition mondial. Ce système oblige donc à définir un nouvel impôt et pose donc plusieurs questions.

Quelle base imposable7 ? Le Blueprint définit une assiette fondée sur des comptes consolidés largement retraités.

Comment calculer l’imposition complémentaire8 ? Il conviendra de calculer un taux effectif d’imposition par juridiction, retraité de plusieurs facteurs, et de le comparer à l’impôt minimal.

Par quels moyens recouvrer l’impôt9 ? Deux mécanismes sont proposés. Le premier permet à l’Etat de résidence de la société mère ultime d’un groupe de sociétés de récupérer l’impôt complémentaire. L’incidence sur le système international est importante puisqu’apparaît une sorte de notion d’Etat de résidence du groupe, lequel a un droit primaire de récupérer les impôts sur les bénéfices sous-imposés réalisés à l’étranger par des filiales ou des établissements stables du groupe. Le second mécanisme, subsidiaire ou complémentaire, permet aux Etats qui voient leurs bases fiscales érodées au profit d’Etats imposant les bénéfices à un taux effectif faible d’en recouvrer une partie, par exemple par le biais d’une règle refusant la déduction des paiements concernés.

L’Etat source a donc la possibilité d’imposer plus lourdement les entreprises localisées sur son territoire en fonction du niveau d’imposition des sociétés liées avec lesquelles elles ont des transactions. Dans la même veine, l’Etat source pourrait être autorisé à prélever une retenue à la source sur certains types de paiement en application d’une règle d’assujettissement à un impôt minimal (règles inspirées des «subject to tax rule»)10. L’incidence sur le système fiscal international est importante puisque l’Etat source, après avoir renoncé à imposer certains paiements perçus par des sociétés étrangères, retrouve son droit de les imposer.

Selon les estimations fournies dans le cadre du Blueprint du Pilier 2, l’application de ces règles générerait directement une augmentation des recettes fiscales d’impôt sur les sociétés de l’ordre de 23 à 42 milliards de dollars et, indirectement, en raison de la diminution des pratiques de transfert de bénéfices, une augmentation de l’ordre de 19 à 28 milliards de dollars.

Au vu de l’ampleur de la tâche et des difficultés organisationnelles liées à la crise sanitaire, l’absence d’accord n’est pas une surprise. Néanmoins, les 137 membres du Cadre inclusif OCDE/G20 ont reconnu le Blueprint du Pilier 1 comme «un socle solide pour un futur accord qui consacrerait le concept d’imposition nette des bénéfices, éviterait la double imposition et serait aussi simple et facile à appliquer que possible», et le Blueprint du Pilier 2 comme «base solide pour parvenir à une solution systémique qui répondrait aux problématiques qui subsistent à ce jour en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices (BEPS)».

La nouvelle date prévue pour l’obtention d’un consensus est désormais fixée à mi-2021. Elle a été réaffirmée par le G20 dans la déclaration publiée le 22 novembre 2020. D’ici là, l’OCDE tentera de finaliser les règles d’un point de vue technique, de simplifier celles du Pilier 2 et d’obtenir un consensus… Si le Cadre inclusif et le G20 parviennent à un accord, il faudra du temps avant qu’il soit effectif, ne serait-ce que pour laisser le temps aux Etats d’adopter les règles et aux entreprises d’adapter leurs systèmes d’information.


La lettre gestion des groupes internationaux

Pilier 2 – Le calcul de l’impôt GloBE : du taux effectif d’imposition aux «top-up taxes»

L’appellation GloBE synthétise parfaitement, par les truchements respectifs de son sigle et de son acronyme, ses deux fonctions essentielles. D’une part, lutter de manière globale contre les dispositifs d’érosion de la base d’imposition («Global anti-Base Erosion»). D’autre part, taxer les revenus mondiaux des grandes entreprises à un taux minimal mondial convenu entre les membres du Cadre inclusif de l’OCDE et du G20 («Globe»).

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