La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2018

Transactions portant sur les incorporels difficiles à valoriser : et si on généralisait l’approche de l’OCDE aux transactions plus classiques ?

Publié le 5 octobre 2018 à 16h44

Florent Richard, PwC Société d’Avocats

Poursuivant ses travaux initiés dans le cadre du plan d’action pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (projet «BEPS»), l’OCDE a publié en juin dernier, à l’intention des administrations fiscales, des instructions destinées à faciliter le contrôle des prix de transfert appliqués aux transactions intra-groupe portant sur des actifs incorporels difficiles à valoriser (souvent désignés sous l’acronyme anglo-saxon «HTVI» pour «hard to value intangibles»).

Par Florent Richard, avocat, PwC Société d’Avocats

L’OCDE propose ainsi aux administrations fiscales des exemples illustratifs et des recommandations pratiques pour appliquer au mieux l’approche qu’elle entend diffuser, depuis trois ans, en matière de contrôle des prix de transfert appliqués aux HTVI.

Retour en arrière : dans ses rapports BEPS d’octobre 2015, l’OCDE constate que le transfert d’un incorporel (marque, brevet, technologie, clientèle, etc.) entre sociétés liées est généralement valorisé sur la base de données prospectives, en actualisant des flux de trésorerie futurs estimés à partir d’une projection des revenus attendus de l’exploitation de l’incorporel en question. De telles projections, incertaines par nature, sont réalisées à partir de données essentiellement internes à l’entreprise (notamment des business plans), créant de ce fait une asymétrie d’information entre le contribuable et l’administration fiscale, au détriment de cette dernière. Pour rétablir l’équilibre, l’OCDE entend autoriser les administrations fiscales, en cas de contrôle, à comparer les projections utilisées par l’entreprise au moment de la transaction (données ex ante) avec les données réelles disponibles au moment du contrôle fiscal (données ex post), parfois plusieurs années plus tard. En cas d’écart entre données ex ante et données ex post, une présomption d’anormalité du prix de transfert est établie, sauf si l’entreprise démontre que ledit écart résulte d’évènements imprévisibles postérieurs à la transaction. Pas non plus de présomption d’anormalité du prix si l’utilisation des données ex post impacte la valeur initialement attribuée à l’incorporel de moins de 20 %.

Bien sûr, l’approche de l’OCDE sur les HTVI n’a pas manqué de faire réagir. Un avantage substantiel serait accordé aux administrations fiscales, puisqu’elles ne sont plus tenues de se placer au moment de la transaction intra-groupe pour en contrôler le prix. Mais à bien y regarder, cette approche est également positive pour l’entreprise, dans la mesure où elle valide implicitement l’utilisation de données prévisionnelles pour déterminer le prix de certaines transactions intra-groupe. Dès lors, pourquoi ne pas étendre à d’autres transactions la possibilité de déterminer les prix de transfert sur la base de données prospectives ? Car reconnaissons-le, hors le cas des HTVI, les administrations fiscales sont plutôt réticentes à accepter des contribuables qu’ils déterminent leurs prix de transfert sur des bases purement budgétaires.

Pour mieux comprendre l’enjeu, prenons l’exemple suivant. Une filiale de distribution d’un groupe multinational s’approvisionne auprès d’une société de fabrication du même groupe. Le prix d’achat intra-groupe des marchandises est déterminé en appliquant la méthode transactionnelle de la marge nette, de manière à ce que l’entité de commercialisation dégage une marge nette de pleine concurrence (dont le niveau est déterminé par référence aux marges nettes dégagées par des distributeurs comparables indépendants, identifiés au moyen d’un benchmark). Pour chaque référence de produit, le prix de cession interne est calculé avant l’ouverture de l’exercice en tenant compte des prévisions de ventes et de charges d’exploitation de la filiale pour l’année à venir et en visant, sur la base de ces données budgétées, le niveau de marge nette issu du benchmark. Si en fin d’exercice la marge nette réelle de la filiale de distribution s’avère inférieure à la marge nette visée, parce que ses ventes seraient plus faibles qu’initialement prévues ou parce que ses charges excéderaient les charges budgétées, que faire ? Procéder à un ajustement rétroactif de prix pour permettre à la filiale de dégager une marge nette réelle en ligne avec celle du benchmark ? Ou bien s’en tenir aux engagements budgétaires des parties et ne pas ajuster ? Dans ce dernier cas de figure, l’administration fiscale reproche généralement à la filiale de distribution d’avoir fixé ses prix de transfert sur des bases purement budgétaires (c’est-à-dire des données ex ante).

Alors, pourquoi ne pas accepter l’utilisation de données budgétaires dans le cadre de transactions ayant une apparence «classique» alors qu’on le permet pour des flux supposés «atypiques» ? Pour l’OCDE, les HTVI méritent un traitement prix de transfert spécifique car il n’est pas possible de leur trouver des comparables fiables sur le marché libre. Mais cette caractéristique n’est pas l’apanage des seuls HTVI ! En témoigne la difficulté de trouver de bons comparables quelles que soient les transactions concernées, l’exercice de benchmaking se résumant souvent à l’identification des comparables indépendants les «moins mauvais»…

Finalement, à partir du moment où l’on accepte l’approche de l’OCDE sur les HTVI, difficile de rejeter les prix de transfert appliqués à des transactions présumées «classiques» au seul motif qu’ils seraient construits à partir de données budgétées et ne seraient pas rétroactivement ajustés pour tenir compte des données réelles. Pour l’administration fiscale, le véritable enjeu serait davantage de vérifier si au sein du groupe multinational considéré, les budgets sont bel et bien établis lors de processus contradictoires faisant l’objet de discussions communes entre les parties, à partir des données les plus fiables disponibles à l’instant donné. Si tel est effectivement le cas, alors le contribuable devrait se voir offrir la possibilité de démontrer que l’écart entre ses résultats réels et ses résultats budgétés ne traduit pas une anormalité de ses prix de transfert, mais résulte d’évènements ou d’évolutions conjoncturelles non prévisibles un an auparavant. Si l’on généralisait cette approche, les filiales de groupes rémunérées sur la base de la méthode transactionnelle de la marge nette cesseraient de voir leurs résultats systématiquement ajustés à un niveau de profitabilité prédéterminé. Pratique certes courante en matière de prix de transfert, mais très «antiéconomique». Car comment motiver les dirigeants et le personnel d’une société dont le résultat est assuré d’avance ? Et existe-t-il des entreprises indépendantes dont on garantit le niveau de profitabilité quelles que soient les circonstances ?

Rappelons-le, le principe de pleine concurrence consiste à traiter des entreprises liées comme si elles étaient indépendantes. En acceptant que les prix de transfert soient calculés sur des bases budgétées sans garantie systématique de résultat final, on redonnerait simplement au principe de pleine concurrence toutes ses lettres de noblesse !


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