La lettre de l'immobilier

Edition Novembre 2022

Aspects de régularisation au stade du contentieux

Publié le 24 novembre 2022 à 15h19

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 6 minutes

Céline Cloché-Dubois, avocat associé en droit de l’urbanisme et de l’environnement. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux auprès d’opérateurs publics et privés (investisseurs, promoteurs, aménageurs) dans le cadre de projets de développement et d’aménagement. celine.cloche-dubois@cms-fl.com / Audrey Pichon Varesio, juriste en droit de l’urbanisme et droit de l’environnement, elle intervient notamment dans le cadre de projets de développement et d’aménagement. audrey.pichon-varesio@cms-fl.com / et Alexis Bussac, avocat counsel en fiscalité. Il intervient tant en conseil qu’en contentieux particulièrement en matière de fiscalité locale. alexis.bussac@cms-fl.com

L’une des principales causes de retard d’un projet immobilier est le risque de recours contentieux à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme.

Ce problème est d’autant plus prégnant que le délai de traitement d’un tel recours par les juridictions administratives est très long. Le délai moyen de traitement du recours, de la saisine du tribunal administratif à la décision du Conseil d’Etat, est de cinq-six ans.

Des garde-fous ont néanmoins été spécifiquement mis en place pour mieux encadrer la procédure et éviter in fine l’annulation des autorisations d’urbanisme. Même si cet encadrement n’empêche pas tout recours, il permet de réduire les risques d’annulation totale.

Un intérêt à agir strictement apprécié

Tout requérant doit justifier d’un intérêt à agir, qui est défini par le Code de l’urbanisme. Ainsi, toute personne, autre que publique, doit justifier que la construction, l’aménagement ou le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien dont elle est propriétaire ou qu’elle occupe régulièrement. Cet intérêt à agir est apprécié in concreto par les juges. La seule qualité de voisin immédiat n’est ainsi pas suffisante pour le caractériser (1).

Le couperet de la cristallisation des moyens

Passé le délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense, il n’est plus possible d’invoquer de nouveaux moyens de nullité de l’autorisation. Il s’agit de la « cristallisation des moyens », qui vise à encadrer le calendrier de la procédure contentieuse en évitant toute manœuvre du/des requérant(s) (dépôt de mémoires successifs visant à repousser sine die la réalisation des travaux).

Le référé-suspension : un recours parallèle et complémentaire

Le référé-suspension permet de demander la suspension provisoire de l’exécution de l’autorisation d’urbanisme. Son intérêt est d’obtenir rapidement une décision, le juge des référés devant prononcer dans un délai variant entre 48 heures et un mois (parfois plus) en fonction de l’urgence de la situation. En matière d’urbanisme, l’exercice du référé-suspension est dérogatoire : il est enfermé dans le délai de deux mois de la cristallisation des moyens susvisé.

La régularisation du projet par la délivrance en cours d’instance d’un permis de construire modificatif

L’existence d’un recours contentieux contre une autorisation d’urbanisme irrégulière ne conduit pas inévitablement à l’annulation de l’autorisation s’il est possible au titulaire de celle-ci, et ce à tout moment de l’instance, de régulariser les vices affectant le permis de construire initial par la délivrance d’un permis de construire modificatif. En pratique, il est usuel de déposer un permis de construire modificatif avant même que le juge administratif ne statue sur le fond de l’affaire.

Les pouvoirs du juge administratif pour limiter l’annulation des autorisations d’urbanisme

Le juge administratif dispose d’une palette d’instruments pour limiter l’annulation contentieuse d’une autorisation d’urbanisme.

• Le sursis à statuer dans l’attente de la délivrance d’un permis de construire modificatif : le juge administratif doit surseoir à statuer s’il estime qu’un vice affectant le projet est susceptible d’être régularisé. Il fixe alors un délai pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux.

• L’annulation partielle en cas de régularisation possible : s’il n’opte pas pour le sursis à statuer, le juge administratif est tenu, de sa propre initiative, de ne prononcer qu’une annulation partielle de l’autorisation d’urbanisme s’il estime qu’un vice affectant une partie seulement du projet peut être régularisé. Il fixe alors le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation pourra en demander la régularisation, même après l’achèvement des travaux (2).

• La substitution de motifs : l’administration compétente pour délivrer l’autorisation peut demander au juge administratif de substituer les motifs illégaux fondant sa décision d’octroi par un ou plusieurs autres motifs, dès lors qu’une décision similaire aurait été prise en se fondant sur le(s) motif(s) substitué(s), et que cela ne prive pas le(s) requérant(s) d’une garantie procédurale (3). 

1. La notion de voisin immédiat est définie de manière casuistique. Ainsi, il a été que la simple allégation d’atteintes visuelles ou sonores du projet était insuffisante à établir l’intérêt à agir (CE, 18 mars 2019, n° 422460).

2. Art. L. 600-5 C. Urb.

3. CE, 6 février 2004, n° 240560.

Zoom sur les enjeux fiscaux

Fiscalité locale et décisions d’urbanisme sont liées pendant toute la durée de vie de l’ouvrage.

Ainsi, le Conseil d’Etat1 subordonne le reclassement d’un terrain en terrain à bâtir à la réunion du critère subjectif de la volonté du propriétaire d’implanter des constructions ou de vendre en vue que le cessionnaire construise, et du critère objectif de la possibilité juridique d’y édifier des constructions au regard des règles d’urbanisme.

Ces décisions peuvent constituer le fait générateur de la taxe, ainsi, l’avis de taxe d’aménagement est adressé au redevable à la suite de la délivrance de l’autorisation de construire ou d’aménager.

Elles peuvent également influencer la date du fait générateur d’autres impositions soumises eu principe de l’annualité selon lequel l’imposition est due par le propriétaire du local achevé au 1er janvier de l’année. Il s’agit notamment de la taxe annuelle sur les locaux en Ile-de France2 (TSB) ou la taxe foncière sur les propriétés bâties. Un retard dans la délivrance de l’autorisation pourra entrainer un différé d’imposition.

Au contraire, un retard dans l’octroi d’un permis de démolir aura pour conséquence de maintenir l’assujettissement du propriétaire de l’immeuble à la taxe foncière jusqu’à la concrétisation de ladite démolition.

Dans le cadre des opérations de restructuration lourde, un retard dans une autorisation de changement d’affectation peut avoir pour effet de maintenir une imposition en matière de TSB. Selon le Conseil d’Etat3, l’exonération de TSB suppose que l’immeuble soit entièrement démoli ou, s’il subsiste à l’état brut de béton, que l’affectation des locaux change à l’issue des travaux (bureaux convertis en commerce par exemple). L’autorisation du changement d’affectation va alors conditionner l’arrêt de l’imposition à la TSB pendant la phase des travaux.

Cette décision influencera aussi la catégorie de la grille tarifaire à laquelle va être rattaché l’ouvrage pour les besoins de la taxe foncière et de la CFE.

4. CE, 1er juill. 2019, n° 423609.

5. Art. 231 ter CGI.

6. CE, 26 mai 2021, n° 436308.


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