La lettre de l'immobilier

Edition Novembre 2022

Les impacts fiscaux occasionnés par les aléas et incidents issus du droit de l’urbanisme

Publié le 24 novembre 2022 à 15h06

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 10 minutes

Par Gaëtan Berger-Picq, avocat associé en fiscalité. Il conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA et à la taxe sur les salaires ainsi que dans le suivi et la gestion des contrôles et contentieux fiscaux gaetan.berger-picq@cms-fl.com / Richard Foissac, avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I PanthéonSorbonne et Nice Sophia-Antipolis. richard.foissac@cms-fl.com / Frédéric Gerner, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de conseil que de contentieux dans les questions relatives aux impôts directs, notamment celles liées aux restructurations intragroupes et à l’immobilier. frederic.gerner@cms-fl.com

Il n’est pas rare que le droit de l’urbanisme soit à l’origine d’obstacles dans le déroulement d’un projet immobilier et qu’il conduise à retarder le démarrage ou la réalisation des travaux, voire à les rendre impossibles. Ces aléas et incidents ne sont pas neutres sur le plan fiscal et sont susceptibles de générer des coûts supplémentaires en modifiant l’économie des opérations et entités concernées. Les opérateurs immobiliers sont ainsi exposés aux risques (i) de ne pouvoir réaliser l’opération immobilière projetée qu’à l’issue de délais trop longs (ii) ou de ne pouvoir tout simplement pas la réaliser, ce qui peut entraîner dans les deux cas, la décision d’arrêter l’opération et soit de conserver les actifs en l’état, soit de devoir les céder.

On pense immédiatement aux opérations de marchand de biens placées sous le régime de faveur de taxation au taux réduit de la taxe de publicité foncière, sous condition de revente dans le délai de cinq (voire deux) ans, mais pas nécessairement de requalification des immeubles constitutifs de stocks en immobilisations1. Mais ces problématiques sont connues et ne génèrent plus beaucoup de litiges complexes pour les opérateurs soumis à l’impôt sur les sociétés. Il en va en revanche différemment pour les opérateurs bénéficiant de régimes fiscaux particuliers et notamment les sociétés civiles de construction-vente.

Sociétés civiles, quels impacts fiscaux ?

On sait que les sociétés civiles de construction-vente sont en principe passibles de l’impôt sur les sociétés (IS) dès lors qu’elles exercent une activité réputée commerciale du point de vue fiscal mais que par dérogation, l’article 239 ter du Code général des impôts (CGI) prévoit que les sociétés civiles ayant pour objet la construction d’immeubles en vue de la vente sont, sous certaines conditions, exclues du domaine de l’IS et soumises au même régime fiscal que les sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations.

Cet objet peut être réalisé conjointement avec l’exercice d’une activité civile du type location d’immeubles nus mais non avec celle d’une autre activité réputée commerciale.

La question s’est ainsi posée de savoir si une société civile de construction vente (SCCV) qui ayant acquis des terrains ne pouvait réaliser le projet de construction-vente projeté au motif d’obstacles liés notamment au droit de l’urbanisme et était amenée à devoir les revendre, encourait le risque de voir constaté l’exercice d’une activité commerciale de marchand de biens et perdre dès lors le bénéfice de son régime fiscal.

Le Conseil d’Etat s’est montré assez bienveillant dans les situations dans lesquelles la vente de terrains s’est effectuée dans des conditions telles que l’objet social était respecté, ou lorsque la société avait été empêchée de réaliser son objet social pour des raisons indépendantes de sa volonté, ou encore en cas de cessions non spéculatives à des collectivités publiques.

Dans un arrêt du 3 juin 1988, (n° 57626), le Conseil d’Etat avait ainsi retenu le fait que :

– la société avait été contrainte de modifier son projet de construction primitif par l’ouverture, au travers de son terrain, d’une voie nouvelle qui a séparé la parcelle vendue de celle sur laquelle elle a réalisé son opération ;

– l’autorité administrative compétente avait subordonné la délivrance du permis de construire sur cette dernière parcelle à la condition que l’autre parcelle devenue inconstructible en raison de son exiguïté soit réunie au terrain contigu sur lequel une autre société de construction-vente envisageait de réaliser sa propre opération de construction, et ainsi considéré que l’équilibre de l’opération initialement projetée par la société civile immobilière était devenu irréalisable du fait d’un événement indépendant de sa volonté.

Comme on le voit, il convient d’être en mesure de justifier que les difficultés encourues imposent véritablement à l’opérateur des choix non voulus, situation proche de celle qualifiée de force majeure. Or, l’application inattendue des règles du droit de l’urbanisme si elles peuvent générer des coûts supplémentaires ne conduisent pas toujours, loin de là, à des cas de force majeure, ce qui place alors les sociétés concernées dans une zone d’incertitude dans les conséquences fiscales des choix qui seront faits.

Qu’en est-il pour les OPCI et les SIIC ?

Les opérateurs bénéficiant de régimes fiscaux spécifiques liés à une activité foncière, tels que les organismes de placement collectif immobilier (OPCI) et les sociétés d’investissements immobiliers cotées (SIIC) peuvent se retrouver placés dans des situations proches. Le régime fiscal de faveur octroyé à ces entités est en effet étroitement lié à leur activité réelle, qui doit correspondre à l’acquisition ou la construction d’immeubles en vue de la location. L’exercice d’une activité de promotion ou de marchand de biens est soit exclu (OPCI), soit limité à des opérations accessoires, ne bénéficiant pas de l’exonération d’impôt sur les sociétés (SIIC). Or, la nature d’une opération ou l’appréciation que peut en avoir l’administration fiscale peut être altérée par des événements liés au droit de l’urbanisme. Une procédure de recours contre un permis de construire, qui peut allonger significativement la période de construction d’un immeuble voire l’empêcher, peut par exemple réduire ou supprimer la période de location, et introduire un doute sur la qualification de l’opération, notamment si l’immeuble est revendu en l’état ou peu de temps après sa mise en location. Seule l’intention à l’origine de l’opération devrait être retenue, mais la tendance de l’administration à faire de la durée de location un élément-clé d’appréciation peut ajouter aux difficultés juridiques une incertitude fiscale malvenue.

Certes, le droit de l’urbanisme et plus généralement le droit immobilier peut aussi se révéler favorable aux organismes fonciers, et leur octroyer des revenus ou indemnités, par exemple en cas de recours abusif contre un permis de construire, ou de difficultés rencontrées avec des locataires, des prestataires ou encore des autorités publiques. Décision favorable ne rime pas pour autant avec sécurité fiscale, et la question peut se poser du traitement fiscal de l’indemnité perçue, notamment pour les SIIC, dont le cadre fiscal n’est défini que partiellement et qui bénéficient d’exonérations limitées à certains types de revenus. La question se pose alors de la nature du revenu, et de la possibilité de le faire entrer dans des catégories de revenus exonérés limitativement définies. Le cas échéant, quand le calendrier des événements le permet et quand l’organisme est en mesure de gérer une réponse potentiellement défavorable, il peut être recommandé de supprimer l’incertitude en sollicitant une prise de position de l’administration par le biais d’une demande de rescrit.

Le respect des délais, entre prorogation et substitution

Le respect des délais est une préoccupation fréquente en ce qui concerne les droits de mutation, car les acquisitions réalisées en vue d’édifier ou de remettre à neuf un immeuble sont généralement placées sous un engagement d’achever les travaux dans un délai de quatre ans, afin de bénéficier en contrepartie d’une exonération de taxe de publicité foncière. A défaut de respecter ce délai, les droits sont dus dans les conditions en vigueur au moment de l’acquisition et sont majorés de l’intérêt de retard.

Les événements de force majeure permettent de s’en affranchir, mais ils se caractérisent notamment par leur imprévisibilité. Or, les aléas issus du droit de l’urbanisme sont suffisamment fréquents pour être prévisibles et ils ne constituent donc en principe pas des événements de force majeure.

Il est ainsi très improbable de pouvoir invoquer avec succès les vicissitudes de l’instruction d’une demande de permis de construire ou d’un recours de tiers pour se libérer de l’obligation de construire dans le délai.

Heureusement néanmoins, le délai imparti par la législation fiscale peut être allongé. Il l’a d’ailleurs été à titre exceptionnel par l’effet de la suspension de 104 jours prévue par l’article 8 de l’ordonnance du 25 mars 2020 pendant la période du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus en raison de la pandémie de Covid. Indépendamment de cet événement particulier, des prorogations annuelles renouvelables peuvent être demandées à l’administration fiscale, au plus tard dans le mois suivant l’expiration du délai imparti pour construire. Elles doivent être motivées et préciser la consistance des travaux concernés ainsi que le montant des droits dont l’exonération demeure subordonnée à la réalisation de la construction envisagée.

Si l’administration ne prend pas une décision de rejet motivée dans les deux mois à compter de sa réception, la prorogation est tacitement accordée.

Face à un projet immobilier complexe ou d’envergure, faisant apparaitre dès l’origine que le délai de quatre ans pour achever les constructions ne pourra pas être tenu, il est possible d’adopter une stratégie consistant à souscrire initialement un engagement de revendre dans un délai de cinq ans, puis d’y substituer un engagement de construire, dont le délai de quatre ans commencera alors à courir à la date de la substitution.

Cela permet ainsi de disposer d’un délai de quasiment neuf ans pour achever les constructions (en procédant à la substitution juste avant l’expiration du délai de cinq ans pour revendre), sans avoir à demander de prorogations à l’administration fiscale (qui pourront néanmoins être sollicitées par la suite si besoin).

Ce « confort » a toutefois un prix puisqu’il implique le paiement de la taxe de publicité foncière au taux réduit de 0,715 % lors de l’acquisition. La substitution équivaut à un respect de l’engagement de revendre et ne permet donc pas de revendiquer le remboursement de la taxe qui reste définitivement acquise au Trésor.

L’incidence du droit de l’urbanisme au regard de l’engagement de construire s’étend jusqu’à la notion même d’achèvement puisque le droit fiscal la définit indirectement comme le dépôt de la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux en mairie, érigée règlementairement en mode de preuve opposable à l’administration.

Notons pour conclure que d’une manière générale, les services fiscaux accordent en principe les prorogations de délais demandées tant que la réalité du projet immobilier et des difficultés rencontrées pour y parvenir ne sont pas mises en doute. Il leur arrive même de passer outre la tardiveté de certaines demandes de prorogations

Il n’en demeure pas moins que les fréquents aléas et incidents issus du droit de l’urbanisme nécessitent un suivi rigoureux des délais fiscaux, d’autant que lorsque l’administration fiscale se manifeste spontanément, c’est qu’il est déjà trop tard, il s’agit d’une proposition de rectification pour non-respect des délais. 

1. Les dispositions de l’article 1115 du CGI qui prévoient notamment que sous réserve des dispositions de l’article 1020, les acquisitions d’immeubles, de fonds de commerce ainsi que d’actions ou parts de sociétés immobilières réalisées par des personnes assujetties au sens de l’article 256 A sont exonérées des droits et taxes de mutation quand l›acquéreur prend l›engagement de revendre dans un délai de cinq ans, sont en principe indépendantes de la question de qualification en stocks ou en immobilisations des actifs immobiliers acquis.


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Les aléas de l’urbanisme et leurs incidences sur certains contrats dans le secteur immobilier

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