La lettre de l'immobilier

Les enjeux des valeurs locatives

La justification du montant de la valeur locative retenue par les parties en présence ou non d’un bail en cours

Publié le 3 février 2022 à 14h30

LANDRE, Stéphane    Temps de lecture 11 minutes

Il est de nombreuses situations dans lesquelles l’administration fiscale est amenée, soit à contester le montant des loyers appliqués en présence d’un bail, soit à devoir fixer le montant de l’avantage octroyé en cas de mise à disposition gratuite de locaux au profit de tiers, liés ou non à l’entreprise.

Par , avocat associé en fiscalité. Il traite notamment des dossiers d’acquisition et de restructuration de groupes immobiliers cotés ou non cotés et les conseille sur leurs opérations. Il est chargé d’enseignement en droit fiscal aux Universités Paris I Panthéon-Sorbonne et Nice Sophia-Antipolis. richard.foissac@cms-fl.com  , avocat associé en fiscalité. Elle conseille et assiste les entreprises, notamment en immobilier, dans l’ensemble des sujets relatifs à la TVA ainsi que dans le suivi et la gestion de contrôles fiscaux et de contentieux. armelle.abadie@cms-fl.com et avocat counsel en droit immobilier. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, notamment en matière de baux commerciaux. geraldine.machinet@cms-fl.com

Il s’agit de deux situations différentes puisque dans le premier cas, le bail existant, sauf à devoir le considérer comme fictif, produit des effets juridiques qui ne peuvent être ignorés, alors que dans le second cas, l’absence de tout bail permet à l’Administration de proposer une valeur locative « objective » comme base de l’avantage consenti. 

Quelle que soit la situation, lorsque l’Administration (i) parvient à démontrer en présence d’un bail, un loyer anormalement faible ou élevé, ou (ii) détermine valablement en l’absence de bail, la valeur de l’avantage consenti, les conséquences ne sont pas les mêmes en matière d’impôts directs et en matière de TVA.

1/ En présence d’un bail

1-1/ Loyers anormalement bas 

1-1-1/ En matière de TVA 

La notion d’acte anormal de gestion est par principe étrangère à la TVA. La TVA étant en effet due sur les sommes réellement encaissées, la jurisprudence considère de longue date que l’Administration ne peut modifier la base taxable en cas de prix anormalement bas ou de renonciation à recettes ; qu’elle ne peut pas non plus en tirer des conséquences en matière de TVA déductible, sauf lorsque l’opération est constitutive d’une libéralité et que le bailleur ne peut être considéré comme exerçant une activité économique. 

La difficulté réside donc dans l’appréciation de la notion de libéralité. 

Il résulte d’une jurisprudence constante que lorsque le prix d’un loyer est fixé à un niveau très inférieur au prix du marché, l’opération est alors constitutive d’une libéralité et le bailleur ne peut être considéré comme exerçant une activité économique au sens des dispositions de l’article 256 et suivants du CGI. La notion de libéralité sera donc retenue dès lors qu’il existe une disproportion manifeste, sur le plan économique, entre la mise à disposition des locaux loués et le loyer acquitté par le locataire (CAA Lyon, 5e ch., 15 mai 2007 n°03-1267, EURL Imhotep). La circonstance que le loyer soit seulement inférieur au prix normal de marché est en revanche sans incidence sur la qualification d’opération à titre onéreux dès lors que le loyer ne présente pas un caractère insignifiant. Lorsque le loyer est insignifiant, les locations se trouvent placées hors du champ d’application de la TVA et l’option pour l’assujettissement des loyers à la TVA (applicable pour les locaux nus à usage professionnel) est inopérante. 

Lorsque la notion de libéralité est retenue, les conséquences fiscales sont lourdes pour le bailleur, qui doit reverser :

– la totalité de la TVA déduite si les loyers sont anormalement faibles dès le début de la location ;

– une fraction de la TVA déduite l’année où les loyers fixés à un niveau normal deviennent anormalement bas. 

1-1-2/ En matière d’impôts directs 

Les conséquences sont classiques. L’Administration est en droit de réintégrer dans le résultat fiscal du bailleur l’insuffisance de loyers constatés (des spécificités existent lorsque le bailleur relève du régime des revenus fonciers, situation qui n’est pas examinée ici). S’agissant du bénéficiaire, il est réputé en principe bénéficiaire de revenus distribués et assujetti à l’impôt à ce titre. Une particularité doit cependant être notée concernant les bénéficiaires relevant d’un régime réel d’imposition. Pour ces derniers en effet, le Conseil d’Etat a retenu une solution de neutralité (voir notamment CE 22-6-1984 n° 37280, 8e et 9e s.-s. :  RJF 8-9/84 n° 956) en considérant que le fait pour un contribuable de n’avoir pas à supporter une charge à laquelle il devrait normalement faire face n’a pas entraîné la passation d’écritures comptables et notamment l’inscription en charge de la somme qu’il aurait normalement dû débourser ; que l’absence de passation de cette charge en comptabilité affecte donc nécessairement en hausse les résultats imposables de l’intéressé, ce dont il résulte que l’Administration commet un double emploi si elle prétend en outre imposer le bénéficiaire à raison de la distribution dont il a pu bénéficier en éludant une charge à laquelle il aurait dû faire face.

1-2/ Loyers anormalement élevés

1-2-1. En matière de TVA 

Selon le principe énoncé ci-avant en vertu duquel la TVA s’applique à la réalité des opérations, sans considération d’une gestion commerciale anormale, le caractère anormalement élevé d’un loyer est sans influence sur le droit de déduire la TVA ayant grevé le loyer (CE 7e-8e- s.-s. 18 mars 1992, n°62403, SA LHS). 

Seuls comptent les éléments suivants : 

– que la facture mentionne la TVA ; 

– qu’elle ait été établie par le prestataire au nom du redevable ; 

– qu’elle corresponde effectivement à la prestation de service indiquée (en l’espèce, la location d’un bien immobilier),

– et qu’elle mentionne le prix devant être réellement acquitté par le preneur. 

La seule exception concerne l’hypothèse dans laquelle les factures émises par le bailleur auraient revêtu un caractère fictif ou de complaisance, autorisant ainsi l’Administration à remettre en cause le droit à déduction du locataire sur le fondement des articles 272-2 et 283-4 du CGI.  

1-2-2/ En matière d’impôts directs

Les loyers facturés, quel que soit leur montant, constituent des produits imposables du chef du bailleur.

Pour les locataires en revanche, seuls les loyers correspondant à des loyers de marché sont déductibles.

2/ En l’absence de bail 

L’analyse retenue est celle de l’octroi par le propriétaire du bien mis à disposition d’un avantage correspondant à la valeur locative de ce bien.

2-1/ En matière de TVA

Les conséquences sont identiques à celles rappelées au 1.1.1. en matière de TVA déductible dès lors que la mise à disposition à titre gratuit d’un bien constitue une libéralité et place l’opération hors du champ d’application de la TVA. 

2-2/ En matière d’impôts directs 

Les conséquences sont identiques à la situation dans laquelle est caractérisée une insuffisance de loyers.

La question qui se pose est dès lors de savoir si, en présence d’un bail, (l’autre situation est plus simple puisque l’administration fiscale « part d’une page blanche »), l’administration fiscale peut démontrer un loyer anormal.

Rappelons tout d’abord que la situation n’est pas la même selon qu’il existe des liens entre bailleur et locataire (ou occupant à titre gratuit) et que, sauf cas particuliers, l’administration fiscale limite en règle générale ses actions aux situations de parties liées dans le cadre de baux existants.

Pour les besoins de l’appréciation du « bon montant de loyer » (ou de l’avantage octroyé en cas de mise à disposition gratuite), l’Administration recherche des éléments de comparaison relatifs à des biens similaires en termes d’adresse, de superficie, de configuration (nombre de pièces, d’étages, activité exercée) et de durée du bail (en ce sens notamment CE 9 déc. 1988, req. n° 40068, RJF 2/1989 n°172). L’Administration peut également faire référence au taux normal de rentabilité des actifs, méthode qui n’est pas sans critique notamment en présence d’actifs détenus de longue durée. Les dispositions contractuelles spécifiques peuvent également être prises en considération pour déterminer le caractère excessif ou non du loyer, notamment si en contrepartie d’un loyer en deçà de la valeur locative réelle des locaux loués, le preneur a accepté de réaliser à ses frais d’importants travaux d’aménagement qui auraient dû être exécutés par le bailleur avant l’entrée dans les lieux du preneur. Une expertise peut également être ordonnée afin d’établir le montant de la valeur locative réelle des locaux.

Toutefois, dans le cadre de son appréciation, l’administration fiscale ne peut faire fi des règles applicables en matière de baux consistant à encadrer le montant du loyer que ce soit à l’occasion d’un bail commercial, d’un bail professionnel ou d’un bail d’habitation en cours de bail ou lors de son renouvellement. Il convient donc de se référer, pour chaque type de bail concerné, à la règlementation spécifique en matière de plafonnement ou d’encadrement du loyer. 

En matière de bail commercial, le montant du loyer du bail renouvelé est soumis, en application de l’article L.145-34 du Code de commerce, à la règle du plafonnement. A défaut pour le bailleur de prouver un motif de déplafonnement du loyer (inhérent à la durée du bail, à l’existence d’une modification notable des facteur locaux de commercialité, de la destination des locaux, ou des obligations respectives des parties…) justifiant une augmentation du loyer de renouvellement, ce dernier sera fixé en application de la variation des indices (indice des loyers commerciaux ou indice des loyers des activités tertiaires) intervenue entre la date de prise d’effet du bail et la prise d’effet du bail renouvelé. Quand bien même les valeurs locatives auraient subi une forte augmentation pendant le cours du bail commercial, le loyer de renouvellement ne saurait être fixé à la valeur locative réelle (et donc déplafonnée) sans la démonstration d’un motif de déplafonnement. Le juge administratif applique rigoureusement ces règles puisqu’il a eu l’occasion de juger que l’administration fiscale n’était pas fondée à procéder à un redressement faute d’établir que le bailleur était en droit d’obtenir une dérogation au mécanisme de déplafonnement du loyer (CE 18 déc. 1987, req. 71301).

La crise du Covid-19, qui a pu entraîner une baisse des valeurs locatives de locaux commerciaux ou de bureaux, n’est pas sans conséquences car l’absence éventuelle de renégociation par les preneurs des loyers lors du renouvellement des baux en cours pourrait qualifier une gestion anormale. La règle est en effet que lors du renouvellement du bail, le loyer est fixé de plein droit à la valeur locative lorsque celle-ci est d’un montant inférieur au loyer plafond calculé en fonction de la variation indiciaire. 

Les mêmes règles sont applicables en matière de sous-locations commerciales (et notamment de sous-locations au sein d’un même groupe de société) et ce d’autant que le loyer de la sous-location ne peut être fixé à un montant supérieur au montant de la location principale sous peine de voir le propriétaire des locaux loués exercer son action en réajustement du loyer principal en application de l’article L.145-31 du Code de commerce et exiger une augmentation du prix de la location principale.

En revanche, concernant les baux affectés exclusivement à un usage professionnel (experts-comptables, avocats, médecins, conseils en gestion, consultants, etc.) et relevant de l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, il n’existe pas de droit au renouvellement et donc de règles opposables à l’Administration qui viendraient limiter sa capacité de corriger les loyers appliqués. Par ailleurs, en dehors des modalités d’indexation conventionnelle du loyer, il n’existe pas de mécanisme spécifique de revalorisation du loyer en cours de bail.

La situation des baux d’habitation est plus complexe. En cours de bail, le bailleur ne peut procéder qu’aux indexations prévues par le bail, à moins de solliciter une majoration exceptionnelle liée à la réalisation de travaux d’amélioration financés à ses frais. A l’expiration du bail, le bailleur ne peut augmenter le montant du loyer que si ce dernier est sous-évalué par rapport au prix du marché et sous réserve de fournir des éléments de comparaison situés dans le même quartier. Par ailleurs, dans les communes situées en zone tendues, l’augmentation de loyer est plafonnée à la moitié de la différence entre la moyenne des loyers habituellement constatés dans le voisinage dont le bailleur fournit des exemples au locataire, et le loyer du locataire en place. A l’inverse, le locataire bénéficie d’une action en diminution du loyer s’il démontre que le loyer de base (hors complément de loyer) est supérieur au loyer de référence majoré en vigueur au moment de la signature du bail. 


La lettre de l'immobilier

Incidence de la loi climat et résilience sur la valeur locative des baux d’habitation

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 4 minutes

La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (la Loi) fait du diagnostic de performance énergétique (DPE) un nouveau critère contraignant pour la location des immeubles d’habitation. Le principe de libre fixation du montant du loyer connaît de nombreuses restrictions, notamment dans les zones tendues.

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