La lettre gestion des groupes internationaux

Transparence fiscale : le CbCR public est transposé en France et s’appliquera aux exercices ouverts à compter du 1er juillet 2024

Publié le 23 février 2024 à 17h20

PwC Société d'Avocats

Par Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocat, PwC Société d’Avocats et François Roux, PwC Société d’Avocats

La loi de finances pour 2016 a introduit en France le CbCR fiscal en intégrant dans le Code Général des Impôts (« CGI ») les préconisations de l’action 13 du plan BEPS, parallèlement reprises dans la directive (UE) 2016/881 du 25 mai 2016, avec l’objectif de fournir aux administrations une vue pays par pays des résultats économiques, comptables et fiscaux des entreprises (CGI art. 223 quinquies C). Le CbCR fiscal s’intègre ainsi dans le dispositif européen d’échange automatique et obligatoire de déclarations entre Etats membres, mis en œuvre par la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 (« DAC » ou « Directive on Administrative Cooperation »).

La recherche de transparence fiscale initiée à cette occasion s’est renforcée avec la directive (UE) 2021/2101 du 24 novembre 2021, qui prévoit dorénavant la mise à disposition gratuite et publique, par les entreprises, d’informations pays par pays. Cette directive, dont l’objet est de modifier la directive comptable 2013/34/UE, s’inscrit dans le cadre de mesures européennes destinées à promouvoir la responsabilité sociale des entreprises. Ne s’agissant pas d’un texte fiscal, elle a été transposée en droit interne français par l’ordonnance 2023-483 du 21 juin 2023, complétée par un décret et deux arrêtés, ajoutant ainsi de nouvelles dispositions au code de commerce. L’ordonnance 2023-1142 du 6 décembre 2023 a par la suite opéré, à droit quasi-constant, certaines modifications de nature principalement légistique (1). Ainsi une analyse de la directive pourrait parfois être nécessaire pour interpréter le texte français et s’il existe des divergences il conviendra de s’interroger sur leur portée.

L’obligation de publier un CbCR s’appliquera pour les exercices ouverts à compter du 22 juin 2024. En pratique, les premiers exercices concernés seront ceux qui ouvriront au 1er juillet 2024 ou, pour les exercices alignés sur l’année civile, ceux qui ouvriront le 1er janvier 2025.  La déclaration sera à publier dans un délai de douze mois à compter de la clôture de l’exercice, c’est à dire le 30 juin 2026 au plus tard pour les exercices ouverts le 1er juillet 2024 et le 31 décembre 2026 au plus tard pour les exercices ouverts le 1er janvier 2025.

L’obligation de publier

L’obligation de publier un CbCR concerne les entreprises qui dépassent 750 M€ de chiffre d’affaires net à la clôture de deux exercices consécutifs et qui exercent leur activité dans un cadre plurinational.

Le dispositif s’adresse au premier chef aux sociétés par actions et sociétés à responsabilité limitée. Des règles spécifiques sont cependant prévues en ce qui concerne les sociétés de personnes, qui pourront aussi, dans certains cas, entrer dans le champ d’application du dispositif.

Sont en pratiques concernées :

­– Les entités mères ultimes (« EMU ») françaises qui sont à la tête d’un groupe multinational, ainsi que les filiales françaises contrôlées par une EMU relevant du droit d’un Etat tiers à l’UE et à l’EEE (Islande, Liechtenstein, Norvège). Dans ce dernier cas, l’obligation ne s’impose que si la filiale française dépasse les seuils de la petite entreprise au sens du droit européen (tels qu’aujourd’hui transposés en droit français à l’article L.230-1 du code de commerce). Deux des trois seuils suivants doivent donc être dépassés : total bilan de 6 M€, chiffre d’affaires net de 12 M€ et nombre moyen de salariés de 50. Soulignons qu’un relèvement de 25 % des deux premiers seuils est attendu à la suite de l’adoption de la directive déléguée 2023/2775 du 17 octobre 2023, publiée au JOUE du 21 décembre 2023 ;

– Les entités autonomes françaises (définies comme des entités qui ne contrôlent et ne sont contrôlées par aucune autre société), disposant d’un établissement stable à l’étranger ;

– Certaines entités étrangères qui disposent en France d’un établissement stable dont le chiffre d’affaires a dépassé un certain seuil à la clôture de deux exercices consécutifs. Il résulte de la directive que ce seuil est également celui de la petite entreprise : il est donc actuellement fixé à 12 M€, et devrait être relevé si la France tire les conséquences de la directive déléguée 2023/2775 précitée. Sont concernées à ce titre les entités autonomes ou les EMU relevant du droit d’un Etat tiers à l’UE et à l’EEE, ou encore les filiales contrôlées par une telle EMU, relevant elles-mêmes du droit d’un Etat tiers à l’UE et l’EEE et disposant d’un établissement stable en France. Dans ce dernier cas, la filiale est cependant dispensée de publier si l’EMU contrôle par ailleurs, dans un Etat membre de l’UE ou l’EEE, une société qui dépasse les seuils de la petite entreprise.

Un certain nombre de dispenses sont mises en place, notamment en ce qui concerne les établissements de crédit qui sont déjà tenus de publier un reporting par pays dans le cadre d’une autre réglementation (directive 2013/36/UE, transposée sur ce point à l’article L.511-45, II du Comofi).

Soulignons que le texte français ne comporte en revanche aucune dispense de publication en présence de sociétés sœurs françaises détenues en râteau par une même EMU ou par une même holding intermédiaire, non située dans l’UE ou l’EEE. Dans une telle situation, chacune de ces sociétés françaises doit, en l’état actuel des textes, publier.

Contenu du rapport

Doivent figurer dans le rapport les informations relatives à toutes les juridictions fiscales dans lesquelles le groupe peut être soumis à un impôt sur les bénéfices en raison de l’établissement, de l’existence d’une installation fixe d’affaires ou d’une activité économique permanente (C. com. art. R 232-8-2, III).

Les informations à publier sont les suivantes (C. com. art. L 232-6, II) :

1° Le nom de la société ;

2° Une brève description de la nature des activités ;

3° Le nombre de salariés employés en équivalent temps plein ;

4° Le chiffre d’affaires net ;

5° Le montant du bénéfice ou des pertes avant impôt sur les bénéfices ;

6° Le montant de l’impôt sur les bénéfices dû ;

7° Le montant de l’impôt sur les bénéfices acquitté sur la base des règlements effectifs ;

8° Le montant des bénéfices non distribués.

Ces informations doivent être présentées par juridiction pour les Etats membres de l’UE, les Etats de l’EEE ainsi que les Etats et Territoires Non Coopératifs. Pour les autres juridictions, une présentation agrégée est possible, mais les entreprises qui le souhaitent peuvent adopter volontairement une présentation désagrégée.

Par simplification, ces informations peuvent être déterminées soit selon des modalités spécifiques prévues à l’article A 232 du Code de commerce, soit selon les modalités prévues pour le CbCR fiscal. En effet, l’article A 232 précité autorise expressément l’emploi, pour la plupart des agrégats à déclarer, des modalités prévues pour les déclarations visées aux parties B et C de la section III de l’annexe III de la directive 2011/16/UE. Un tel choix est conforme aux préconisations de la directive relative au CbCR public (Directive 2013/34/UE art. 48 quater §3).

Enfin, un différé de publication de cinq ans est possible, si la divulgation risque de porter gravement préjudice à la situation commerciale des sociétés auxquelles elle se rapporte.

Modalités pratiques d’application

Les textes prévoient une double obligation de publication. Le rapport devra être déposé au greffe du tribunal de commerce, afin d’être annexé au registre du Commerce et des Sociétés. Il sera également mis gratuitement à la disposition du public, pendant au moins 5 années consécutives, sur le site internet selon le cas (C. Com. art. R.232-23) :

– de la société autonome française ou de l’entité mère ultime française tenue de publier,

– de la succursale en France émanant de la société autonome n’ayant pas son siège social dans l’UE ou EEE et tenue de publier (ou le site internet de cette société autonome),

– de l’entité mère ultime ne disposant pas d’un siège social dans l’UE ou l’EEE, celui de l’une des sociétés qu’elle contrôle ou celui de de la succursale émanant de la filiale étrangère qu’elle contrôle.

Le rapport sera présenté à l’aide d’un modèle et de formats de déclaration électroniques lisibles par machine publiés par arrêté du ministre chargé de l’économie.

Sanctions

Les textes ne prévoient aucune sanction financière. En revanche, la gouvernance est fortement responsabilisée.

Ainsi, si une société étrangère disposant d’une succursale en France ne communique pas les informations requises, son représentant légal en France ou la personne en France ayant le pouvoir de l’y engager doit lui demander les informations nécessaires et publier le rapport. Cette personne doit alors mentionner le cas échéant que la société n’a pas fourni toutes les informations requises. Les mêmes obligations s’imposent à la filiale française d’une EMU ne relevant pas du droit d’un Etat de l’UE ou de l’EEE (C. com. art. L.232-6-1, III et L.233-28-2, V).

De plus, toute personne peut demander au président du tribunal de commerce statuant en référé soit d’enjoindre sous astreinte à la personne ou à l’organe compétent pour la production, la communication ou la transmission des documents ou informations de les communiquer, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à cette communication. Lorsqu’il est fait droit à la demande, l’astreinte et les frais de procédure sont à la charge de la personne ou de l’organe mis en cause (C. com. art. L.238-1).​

Soulignons enfin que le commissaire aux comptes sera tenu d’indiquer dans son rapport si l’entité est soumise au dispositif. Si tel est le cas, il devra également, l’année suivante, attester que le rapport relatif à l’impôt sur les bénéfices, pour l’exercice précédant celui pour lequel les comptes sont certifiés, aura été publié et mis à disposition (C. com. art. L.821-54, III). 

1. Conformément aux ordonnances 2023-483 et 2023-1142, les textes régissant le CbCR public sont les articles L.323-6, L.232-6-1, L.233-28-1, L.233-28-2 et L.238-1 du code de commerce auxquels s’ajoutera, à compter du 1er janvier 2025, l’article L.221-7-1 du code de commerce.

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