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Des épargnants peu rationnels en période d’inflation

Publié le 19 mai 2023 à 11h30

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Les connaissances financières jouent sur les comportements des épargnants, mais aussi leur perception plus ou moins juste de la réalité. Ainsi, de nombreux épargnants aisés en Allemagne ont, à tort, réagi à l’hyperinflation des années 1920 en vendant leurs actions. Les institutionnels qui, au contraire, ont acheté des titres ont été gagnants.

Les performances des actifs financiers souffrent en période d’inflation mais certains offrent une meilleure protection que d’autres. Par exemple, les actions des entreprises ayant un « pricing power » ou celles en mesure d’ajuster les prix de leurs produits ou services peuvent ainsi se révéler être de bons véhicules dans ces périodes, ou du moins être moins mauvais que d’autres. Est-ce pour autant le placement choisi par les investisseurs particuliers dans de telles périodes ? Les théories économiques sont partagées pour anticiper leur comportement. L’histoire permet parfois de le révéler, comme par exemple les attitudes des épargnants allemands durant la période d’hyperinflation du début des années 1920 en Allemagne.

Dans leur article intitulé « Inflation and Investors’ Behavior : Evidence from the German Hyperinflation », trois chercheurs analysent les placements boursiers des quelque 2 000 clients aisés d’une banque allemande de l’époque. Après un monumental travail d’analyse d’archives, ils sont parvenus à élaborer des indices de prix dans une trentaine de villes allemandes à cette époque et ont étudié les comportements boursiers des clients des agences de cette banque dans ces différentes villes. Les résultats indiquent clairement que les investisseurs particuliers ont en moyenne davantage vendu des actions qu’ils n’en ont acheté, et cela d’autant plus que l’inflation perçue là où ils habitaient était importante. Pendant la même période, les clients institutionnels de cette même banque ont, eux, dans leur ensemble, acheté des titres. En quatre ans, les prix des biens ont été multipliés par plus d’un million et les actions ont à peu près suivi ce mouvement, ce qui a donc été favorable à ceux qui ont investi en bourse.

Une théorie de l’illusion monétaire

Les auteurs de cette recherche historique interprètent ces résultats en faveur de la théorie de l’illusion monétaire qui veut que les anticipations des individus n’intègrent qu’imparfaitement les effets de l’inflation. Quand ceux-ci considèrent les rendements des dividendes (dividendes divisés par les cours), ils les comparent aux rendements des obligations et optent pour ces titres car leur rendement est plus élevé. Hélas, ce faisant, ils oublient que les dividendes peuvent s’ajuster sur l’inflation alors que les coupons des obligations sont fixes (du moins à cette époque : ni les obligations à taux variable ni les taux indexés sur l’inflation n’existaient).

D’autres interprétations des comportements observés sont également possibles, car dans cette période très troublée de l’après Grande Guerre, les particuliers aisés allemands pouvaient avoir été tentés d’investir en dehors de leur pays pour échapper temporairement à l’inflation, et rapatrier leur épargne lorsqu’elle serait jugulée, ce qui s’est produit avec l’avènement du Reich Mark en 1924. Toutefois, parmi le nombre important de clients de cette banque, le placement en Allemagne était certainement la règle et l’exportation de capitaux l’exception.

Le comportement effectif des épargnants fait de plus en plus l’objet d’études empiriques et c’est heureux et utile. Depuis les premiers travaux, il y a une vingtaine d’années, de finance comportementale aux Etats-Unis, on sait que les individus ne se comportent pas toujours selon la rationalité postulée par la théorie. Ainsi d’après des recherches menées par Shlomo Benartzi, l’attitude de professeurs de finance d’une université californienne semble être davantage influencée par le marketing que par le raisonnement strictement financier. Il apparaît de plus en plus clairement qu’en matière de décision d’investissement, non seulement les connaissances financières importent mais que les perceptions qu’en ont les individus aussi.

Mots clés Epargne
Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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