Des investissements de dépollution sous fortes contraintes financières

Publié le 21 octobre 2022 à 15h51

Edith Ginglinger    Temps de lecture 5 minutes

Les problématiques liées au changement climatique font partie des questions les plus débattues actuellement. Sous les pressions conjuguées des investisseurs soucieux d’améliorer les scores environnementaux de leurs portefeuilles et d’un nombre croissant de réglementations visant les sources de pollution de l’air, de l’eau et des sols, les entreprises sont incitées à réduire la pollution liée à leurs activités. Une première manière de le faire est de délocaliser les activités polluantes dans des pays dont les réglementations sont moins sévères. L’alternative consiste à procéder à des investissements de dépollution.

Une étude sur la période 2008-20151 pour les plus grandes entreprises mondiales montre que les émissions de CO2 ont augmenté 1,5 fois plus rapidement dans les filiales étrangères que dans le pays où est localisé le siège social de la multinationale. Ce constat est d’autant plus criant que les réglementations environnementales sont sévères dans le pays d’origine. Par exemple, les multinationales françaises ont délocalisé 80 % de leur pollution à l’étranger, à comparer à 10 % pour l’Inde ou l’Afrique du Sud. L’Allemagne fait exception, car malgré une réglementation environnementale parmi les plus contraignantes, 45 % seulement des émissions de CO2 des entreprises de ce pays sont délocalisées.

Aux Etats-Unis, les politiques environnementales sont très fragmentées : elles diffèrent selon les Etats et laissent donc la porte ouverte aux arbitrages de localisation des entreprises. Trois chercheurs américains2 ont étudié l’impact de l’introduction en 2013 en Californie de la réglementation « cap and trade », qui établit une limite décroissante pour les principales sources d’émissions de gaz à effets de serre et incite les entreprises à investir dans des technologies plus propres. Ils montrent que l’impact de cette loi diffère selon les contraintes financières (accès aisé ou non aux financements) auxquelles les entreprises sont soumises. Les résultats sont peu significatifs pour les entreprises ayant un accès aisé aux financements, tandis que les entreprises contraintes financièrement se contentent de délocaliser leur pollution : elles réduisent de 33 % les émissions de gaz à effet de serre des usines situées en Californie et augmentent de 29 % les émissions des usines situées dans d’autres Etats, en particulier celles qui ne fonctionnaient pas à pleine capacité. En effet, elles évitent ainsi une augmentation des coûts de production induite par la réglementation, qui équivaut à un accroissement des taxes de 9 %.

Les entreprises qui ne délocalisent pas leur pollution ont à choisir entre des investissements de prévention ou de traitement de la pollution. Dans le contexte français, Caroline Gentet-Raskopf (2022)3 s’intéresse à l’impact des contraintes financières sur ce choix. Les investissements de prévention sont plus onéreux, mais plus profitables sur le long terme que les investissements de traitement, parce qu’ils permettent de réduire la consommation d’énergie et d’autres intrants, tout en baissant le coût du traitement de la pollution en aval. Au contraire, les investissements de traitement requièrent des investissements moindres, mais génèrent moins d’entrées de cash-flows. Sur un échantillon d’entreprises françaises qui emploient plus de 250 salariés sur la période 2011-2018, l’étude s’appuie sur les données de l’enquête administrative Antipol, qui recense le montant des investissements réalisés pour protéger l’environnement : matériels dédiés à la protection de l’environnement, achats d’équipements plus performants en matière environnementale. Ces investissements concernent les eaux usées, la limitation des gaz à effet de serre, les déchets, les bruits et vibrations, etc. Les résultats montrent que les entreprises contraintes financièrement attendent que les réglementations environnementales soient adoptées et s’y conforment en procédant à des investissements de traitement de la pollution. Seules les entreprises peu contraintes financièrement vont être en mesure de procéder à des investissements de prévention. Pour conforter l’analyse, l’impact d’une forte augmentation de la cotisation foncière (plus de 8 % sur une année) supportée par les entreprises sur le comportement d’investissement de dépollution est examiné. Les entreprises soumises à un tel choc, qui conduit à diminuer leurs cash-flows, ne modifient pas leurs investissements de traitement, mais réduisent significativement leurs investissements de prévention de la pollution.

Les résultats des études menées tendent à soutenir un accompagnement direct des investissements de prévention de la pollution par des subventions aux entreprises de croissance, qui sont les plus contraintes financièrement, afin que leur développement ne soit pas bridé par les réglementations environnementales successives.

1-  Itzhak, Jang, Kleimeier, Viehs, 2021, Exporting pollution: where do multinational firms emit CO2?, Economic Policy, 36, 377-437.

2 - Bartram, Hou, Kim, 2022, Real effects of climate policy: Financial constraints and spillovers, Journal of Financial Economics, 143, 668-696. - 3 - To treat or to prevent pollution, 2022.

Edith Ginglinger Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Edith Ginglinger est professeur à l’Université Paris-Dauphine

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