Faut-il relâcher les règles budgétaires de la zone euro ?

Publié le 23 novembre 2018 à 11h23    Mis à jour le 23 novembre 2018 à 18h09

Patrick Artus

Le gouvernement de coalition en Italie souhaite pouvoir mener une politique budgétaire plus expansionniste (2,4 % du produit intérieur brut de déficit public officiellement en 2019, en réalité près de 3 % du PIB, alors que 0,8 % était prévu) ; il sera très difficile et douloureux en France de ramener de 2,8 % du PIB en 2019 à 0,5 % en 2022 son déficit public (ce à quoi elle s’est engagée) ; pour l’ensemble de la zone euro hors Allemagne, on voit depuis 2017 le retour à des déficits publics structurels (corrigés du cycle économique) plus élevés.

Ceci conduit à poser une question importante : faut-il relâcher les règles budgétaires de la zone euro et autoriser des déficits publics plus importants ? Nous posons les arguments en faveur de ce relâchement des règles budgétaires et ceux qui conduisent à le condamner.

Ceux qui plaident en faveur du relâchement des règles budgétaires permettant de mettre en place des déficits publics plus élevés mettent d’abord en avant le fait que la zone euro, depuis 2012, a un excédent extérieur important, c’est-à-dire un excès d’épargne sur l’investissement. On voit de plus en plus que la politique monétaire très expansionniste et les taux d’intérêt très bas ne corrigent pas cet excès d’épargne, cette insuffisance de la demande intérieure.

Utiliser une politique budgétaire plus expansionniste pour résorber l’excès d’épargne, si la politique monétaire est inefficace, paraît donc raisonnable. Le second argument en faveur de règles budgétaires moins strictes dans la zone euro est le besoin d’un certain nombre de dépenses publiques supplémentaires et de certaines baisses d’impôts. L’investissement public de la zone euro a diminué depuis la crise, c’est le cas aussi des dépenses d’éducation ; les dépenses publiques de recherche-développement sont trop faibles, et il faudrait mettre en place des incitations fiscales pour pousser les entreprises à moderniser leur capital, à se robotiser, à investir davantage en nouvelles technologies.

Enfin, le niveau très faible des taux d’intérêt à long terme dans la zone euro permet de financer des déficits publics supplémentaires à un coût très réduit, qui peut être plus faible – on peut l’espérer – que le rendement des dépenses publiques supplémentaires ou des baisses d’impôts.

Mais la prudence pousse au contraire à ne pas prendre le risque d’accroître encore plus les dettes publiques de la zone euro. Nul ne maîtrise en effet les perspectives de moyen terme pour l’inflation et les taux d’intérêt à long terme même si l’inflation est aujourd’hui anticipée comme devant rester faible.

On peut envisager par exemple une hausse importante du prix du pétrole, d’où une inflation forte et des taux d’intérêt élevés, avec la faiblesse de l’investissement en exploration-production de pétrole depuis 2014. On peut se demander si la faiblesse du pouvoir de négociation des salariés, qui conduit aujourd’hui à celle de la hausse des coûts salariaux et de l’inflation sous-jacente de la zone euro, est une caractéristique durable de l’économie de la zone euro, ou bien si des évolutions politiques conduiront dans le futur à un partage des revenus plus favorable aux salariés, au retour de l’inflation salariale et à une forte hausse des taux d’intérêt sur l’euro.

L’exemple présent de l’Italie montre aussi qu’avec la faiblesse de la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro, lorsqu’un pays de la zone euro accroît son déficit public, puisqu’il ne peut pas attirer des capitaux depuis les autres pays de la zone euro, son taux d’intérêt à long terme augmente rapidement.

On peut enfin avancer un argument «à l’allemande» : le vieillissement démographique allant être très important dans la zone euro, il faut plutôt y réduire les dettes et y accumuler des actifs, en prévision du vieillissement futur, que d’y accroître les dettes.

Comment concilier ces arguments favorables à une politique budgétaire plus expansionniste dans la zone euro, à des règles budgétaires moins strictes, avec les arguments qui montrent les dangers de déficits publics plus importants ? La «notion de compromis» n’est pas très originale. Si des déficits publics plus élevés permettent de stimuler l’investissement de modernisation des entreprises (robots, Internet, intelligence artificielle), ils conduisent normalement à une hausse de la croissance potentielle qui rend inoffensive la dette publique supplémentaire. Malheureusement, les déficits publics de la zone euro sont la contrepartie aujourd’hui d’une hausse de dépenses de transferts publics (prestations sociales diverses) et non de politiques soutenant l’investissement de montée en gamme des entreprises.

Patrick Artus conseiller économique ,  Natixis

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Depuis 1998, il était directeur de la recherche et des études de Natixis. Il a été promu chef économiste en mai 2013.

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