Gérer la transmission de la politique monétaire

Publié le 22 avril 2022 à 17h55

Gilles Moëc    Temps de lecture 4 minutes

«Transmission ». Le mot revient dans la communication de la BCE. Pendant toute la phase dominée par l’assouplissement quantitatif, les concepts de « stance » – l’impulsion, accommodante ou restrictive, donnée par la banque centrale – et de transmission – comment cette impulsion se diffuse dans l’économie – n’étaient pas séparables. Les achats de titres permettaient à la fois de soutenir l’économie alors même que les taux directeurs avaient atteint leur plancher, et de minimiser les spreads souverains. Avec l’arrêt programmé du QE, maintenant que la BCE pense pouvoir délivrer son objectif de stabilité des prix par les moyens conventionnels, les obstacles à la diffusion équilibrée de l’impulsion monétaire dans l’ensemble de la zone euro peuvent réapparaître.

Ce n’est pas la première fois que la BCE est confrontée au défi d’engager une normalisation de son « stance » sans engendrer de tension sur les signatures souveraines les plus fragiles. Au sortir de la grande récession de 2008-2009, la BCE souhaitait pouvoir engager une remontée de ses taux directeurs tout en gérant les symptômes émergents de la crise souveraine. La solution de l’époque fut le Securities Market Programme, grâce auquel la BCE pouvait acheter les titres de souverains en difficulté, sans pour autant stimuler l’économie de la zone euro dans son ensemble, en stérilisant ces rachats par des reprises de liquidité. Le SMP fut un échec politique. Si aucune conditionnalité explicite n’était exigée des Etats bénéficiaires (ce qui rendait le programme suspect aux yeux des pays « frugaux »), dans les faits, une conditionnalité « implicite » s’était mise en place, impliquant des négociations peu transparentes entre les gouvernements et la banque centrale qui ont fini par nourrir le populisme dans des pays comme l’Italie. Echec technique également, car en contrepartie de sa « prise de risque », la BCE s’imposait comme créancier « senior », un statut peu rassurant pour les investisseurs ordinaires.

L’OMT (Outright Monetary Transactions) dévoilé inversa cette logique, les achats de la BCE perdant leur statut préférentiel, mais les Etats devant accepter une conditionnalité transparente, sous la forme d’un contrat non pas seulement avec la BCE mais également la Commission européenne et, si possible, le FMI. L’OMT n’a jamais été testé en « vraie grandeur » mais la simple menace de sa mise en œuvre a permis de lutter efficacement contre la fragmentation de la zone euro à partir de la fin de 2012.

L’OMT reste donc le « programme de référence » pour gérer des difficultés de transmission de la politique monétaire. Il reste toutefois une difficulté : la BCE n’a pas la main. Son déclenchement ne peut intervenir qu’à la demande d’un Etat membre, ce qui entraîne un coût politique (il est rarement électoralement payant de faire savoir que l’on est en passe de perdre accès au marché). 

Ce coût politique peut être réduit en limitant la portée de la conditionnalité exigée. Aux mémorandums extrêmement durs des années 2010, on peut substituer une conditionnalité légère (par exemple le respect des engagements déjà pris par les Etats membres pour libérer les fonds du pacte de nouvelle génération), mais en définitive, il est probable que le déclenchement de l’OMT n’interviendrait qu’après une détérioration significative des conditions financières. Face à des crises existentielles telles que celle de 2012, l’outil restait formidablement efficace. Mais pour simplement s’assurer que la normalisation du niveau des taux de marché n’intervienne pas à un rythme trop rapide dans certains pays au regard d’une conjoncture encore très incertaine, l’instrument n’est peut-être pas suffisamment agile.

On peut donc comprendre la réticence de Christine Lagarde à être précise sur les moyens techniques d’une action « anti-fragmentation », même si elle a affirmé avec force la capacité de la BCE à définir et mettre en œuvre rapidement un outil si nécessaire. Les mêmes questions – autour de l’aléa moral, de l’efficacité technique, de l’initiative du programme – se posent qu’il y a 10 ans. Il est possible que la Banque centrale se contente de « demi-solutions », comme de réorienter les réinvestissements du Programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) et du Programme d’achats d’actifs (APP) vers les signatures fragiles. Il n’est pas évident que cela suffirait à complètement rassurer le marché.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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