Jerome Powell, coincé entre inflation et deux bankruns ?

Publié le 17 mars 2023 à 18h17

Jean-Paul Betbèze    Temps de lecture 4 minutes

Tout le monde attend la décision de Jerome Powell et de la Banque centrale américaine le 22 mars prochain. Mais il n’y a pas que l’inflation comme problème. Certes, elle s’inscrit encore à 6 %, bien au-delà des 2 % promis. Normalement, J. Powell devrait donc augmenter ses taux de 25 points de base… A moins qu’il juge que l’inflation américaine est décidément résistante et passe à 50 points de base pour la calmer.

Sauf s’il s’inquiète des deux bankruns qui secouent actuellement les marchés. Le premier est celui de la SVB, la Silicon Valley Bank de Californie, icône de la tech. Le deuxième est celui de Signature, à New York, banque spécialisée récemment dans les cryptomonnaies. Le premier bankrun a touché la 16e banque américaine qui, en une semaine, a dû fermer ses portes. Le deuxième conduit aux mêmes résultats pour la 26e banque du pays. Tech et cryptomonnaies : nous voilà face à deux crises sectorielles conduisant à des crises bancaires qui menacent de s’étendre. Dans ce contexte, J. Powell peut se dire que son souci d’inflation passe au deuxième plan puisque la Fed, comme toute banque centrale d’ailleurs, doit lutter contre l’inflation, mais après s’être assurée de la stabilité de son système bancaire et financier. Stabilité 1, inflation 2. Les paris sont ouverts : 50 points de base, 25 ou rien.

Pas facile de choisir : la hausse des taux pour motif d’inflation risque de faire encore monter les taux longs, ce qui pose un problème pour la technologie, longtemps habituée à des ressources financières importantes et quasi gratuites. On a vu au quatrième trimestre de 2022 une chute des investissements dans ce secteur : l’argent est plus cher et les risques d’éclatement de la bulle augmentent. Coincée dans cet étau, la SVB éprouve des problèmes de trésorerie, vend plus de 20 milliards de dollars de bons du Trésor, ce qui lui fait enregistrer une perte de 1,8 milliard qui la conduit, en catastrophe, à une augmentation de capital. Ceci accentue le run et la banque ferme le vendredi 10 mars. Ce même jour, la banque Signature ferme, la hausse des taux posant des problèmes à ses cryptomonnaies dites « stables ». Elles ne peuvent plus l’être, puisqu’elles doivent rémunérer leurs possesseurs à des taux supérieurs, ce qui implique pour elles de faire des crédits à des conditions plus élevées, donc à prendre plus de risques. Ce qui devait arriver arrive : les crédits à des entreprises ne sont plus honorés, donc la monnaie dite stable ne peut plus payer 4,5 %, comme les Fed funds. Elle doit disparaître et rembourser ses clients : autre problème de trésorerie, autre source de run.

Pas de surprise si la Banque centrale américaine décide de rembourser tous les déposants, alors qu’auparavant ils ne l’étaient qu’à hauteur de 250 000 dollars. Bien sûr, des enquêtes vont être menées et promettent de savoureuses découvertes (le patron de la SVB aurait vendu une part de ses titres en février). Surtout, on va prendre la mesure des banques dont le total du bilan est inférieur à 250 milliards de dollars, ce qui les fait échapper au contrôle de la Fed à la suite d’un lobbying intense… du patron de la SVB qui avait convaincu… Donald Trump !

L’affaire devient politique, Joe Biden expliquant qu’il doit éviter le pire, qu’une enquête sera menée, que ce qui se passe est la responsabilité de Trump et que les ménages américains n’auront rien à payer. Bien sûr.

La question des cryptomonnaies est également politique, impliquant plus de vérifications et un arrêt à leur foisonnement. On peut s’attendre à de nouvelles faillites dans ce secteur. Plus profondément, il faudra savoir quel est l’état des pertes sous-jacentes aux portefeuilles obligataires détenus par les banques, notamment ceux inscrits jusqu’à leur maturité et qui n’ont pas à être en mark to market. On parle de 850 milliards de dollars d’obligations à réévaluer !

Au total, J. Powell doit payer les conséquences de la crise de 2008 et de la liquidité versée alors, plus celles de la crise du Covid, de la guerre en Ukraine, au milieu de la double bulle de la technologie et des cryptomonnaies, surtout celles qui promettent d’être « stables ».

Il est impossible de laisser tomber la tech et les cryptomonnaies, au risque d’attaquer les innovations américaines et de conduire à des ventes à un dollar… que la Chine se ferait un plaisir d’acheter. Tout devient géopolitique ! J. Powell devra donc modérer un peu ou beaucoup ses hausses de taux, sans trop dire vraiment pourquoi.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite de l’université Panthéon Assas ,  Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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