La BCE peut encore baisser ses taux
En un an, la Banque centrale européenne (BCE) a réduit son principal taux directeur de 4 % à 2,25 %. En avril, elle vient de supprimer la formulation selon laquelle « la politique monétaire devient significativement moins restrictive ». En déclarant qu’« il n’y a pas de meilleur moment pour être dépendant des données » et en suggérant que les risques à court terme pour l’inflation sont équilibrés, il nous semble que la BCE cherche à gagner du temps, en attendant de disposer de nouvelles prévisions en juin.
Lors de la réunion d’avril, Christine Lagarde a souligné les risques à la baisse pour la croissance (guerre commerciale, incertitude, resserrement des conditions financières et tensions géopolitiques), qui pourraient affecter les exportations, l’investissement des entreprises ou la consommation. Nous considérons que ces risques sont réels, qu’ils pourraient amputer la croissance de quelques dixièmes de point de PIB cette année et l’an prochain, et ce principalement en raison du choc que vont subir les économies américaine et chinoise qui se livrent une guerre tarifaire intense, avec des taux supérieurs à 125 %. Mais ce choc sera beaucoup plus faible que celui du Covid, quand le PIB européen avait baissé de près de 6 %, ou celui de la crise énergétique, quand la facture énergétique avait augmenté de 4 points de PIB. On ne peut exclure une petite récession technique, de courte durée, cet été, en raison du profil de nos exportations, mais la croissance annuelle de 2025 devrait rester correcte. Le FMI vient de la baisser à 0,8 %, soit autant qu’en 2024 et plus qu’en 2023 (0,5 %).
Plus surprenant, Christine Lagarde a déclaré que « l’impact net de la guerre tarifaire sur l’inflation ne deviendra clair qu’avec le temps », suggérant également que les risques sur l’inflation sont équilibrés. D’une part, la baisse des prix des matières premières, des prix de l’énergie, l’appréciation de l’euro et la réorientation attendue de l’offre excédentaire mondiale pourraient exercer une pression à la baisse sur l’inflation. D’autre part, la fragmentation de la chaîne d’approvisionnement mondiale, la hausse des dépenses de défense en Europe et d’infrastructure (en Allemagne) pourraient augmenter l’inflation à moyen terme.
«Les marchés intègrent désormais deux baisses de taux d’ici juillet et un taux terminal de 1,50 % d’ici janvier 2026, mais à horizon 2027, la BCE ne devrait pas prendre le risque de baisser ses taux directeurs beaucoup plus bas que ces niveaux.»
Nous considérons l’ensemble des évolutions récentes comme légèrement désinflationnistes au cours des douze prochains mois. Nous prévoyons que l’inflation tombera de 2,1 % sur un an en avril à 1,6 % à la fin de l’année, essentiellement du fait de la baisse des prix du pétrole et de l’appréciation de l’eurodollar. Quant à l’inflation sous-jacente, elle reste certes un peu élevée, à 2,6 % sur un an. Toutefois, les négociations collectives salariales suggèrent que la hausse des salaires passera de 4,3 % sur un an fin 2024 à près de 3 % fin 2025, ce qui devrait permettre à l’inflation sous-jacente de se rapprocher des 2 %. En juin, les nouvelles prévisions de la BCE devraient prendre en compte ces récents développements et afficher des perspectives sur l’inflation proches des nôtres.
Par conséquent, nous pensons que la BCE sera disposée à réduire ses taux directeurs en juin et juillet, ramenant son principal taux directeur à 1,75 %. Les marchés intègrent désormais pleinement deux baisses de taux d’ici juillet et un taux terminal de 1,50 % d’ici janvier 2026.
Cependant, à moyen terme (horizon 2027), la prudence s’impose. La BCE ne devrait pas prendre le risque de baisser ses taux directeurs beaucoup plus bas que ces niveaux. La croissance potentielle se situe probablement entre 0,5 et 0,8 % par an en zone euro, en raison d’une force de travail qui diminue, en l’absence de flux migratoires exceptionnels et de faibles gains de productivité. Mais à partir de 2027, la croissance pourrait être nettement supérieure à la croissance potentielle, en raison de la hausse des dépenses publiques et aussi grâce à une incertitude politique qui pourrait s’atténuer. Le déficit budgétaire de l’Allemagne était de 2,8 % du PIB en 2024, et nous nous attendons à ce qu’il augmente dans les années à venir, libéré des contraintes constitutionnelles du frein à la dette. Compte tenu de son nouveau fonds d’investissement dans les infrastructures de 500 milliards d’euros et de la hausse des dépenses militaires, nous voyons des dépenses supplémentaires à hauteur de 2 % du PIB par an. Le reste de l’Europe devrait aussi pousser à la hausse ses dépenses militaires. Il existera alors des risques significatifs à la hausse pour l’inflation sous-jacente, qui pourraient être renforcés par des tensions commerciales persistantes.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking
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