Pourquoi la Fed manque de conviction à baisser ses taux directeurs

Publié le 26 septembre 2025 à 10h46

Michel Martinez    Temps de lecture 4 minutes

Mi-septembre, la Fed a procédé à sa première baisse de taux cette année (-25 pb), ramenant son taux directeur effectif à 4,1 %. Le marché anticipe trois nouvelles baisses de 25 pb d’ici juin 2026, puis une dernière fin 2026, ce qui ramènerait le taux des Fed Funds à 3,1 %. Nous estimons que des baisses en octobre, décembre et début 2026 sont probables, mais doutons que la Fed aille au-delà.

Lors de la décision de septembre, les « dots » signalent trois baisses potentielles d’ici fin 2026. Mais le président de la Fed, Jerome Powell, est resté évasif quant à la suite. Par ailleurs, les prévisions de croissance pour 2025-2027 ont été relevées, au-dessus du potentiel, tout comme celles de l’inflation, avec des moyennes annuelles 2025-2026 loin de l’objectif de 2 %. Parallèlement, les prévisions de chômage ont été abaissées. Normalement, ces révisions macroéconomiques appelleraient à moins de baisses.

«Les banquiers centraux américains doivent faire de nombreuses hypothèses, mais le juge de paix pour départager ces dernières sera l’évolution des salaires.»

Comment expliquer ce manque de clarté entre prévisions macroéconomiques et signaux sur les baisses de taux et ce manque de conviction dans le discours ? Probablement parce que les banquiers centraux américains doivent faire de nombreuses hypothèses, le scénario restant incertain.

Le dernier rapport sur le marché du travail américain montre une détérioration brutale depuis mai dernier. Quatre mois consécutifs avec une croissance des créations d’emploi moyenne à 0,2 % par an, un niveau proche de la stagnation pour une économie habituée à plus de 1 %. Parallèlement, l’inflation sous-jacente reste élevée (3 % sur un an) et devrait atteindre 3,5 % l’été prochain. Le relèvement des tarifs douaniers commence seulement à peser sur l’inflation : avant ces hausses, les entreprises américaines ont massivement stocké. Ces hausses tarifaires se diffuseront aux prix à la consommation à mesure que les stocks s’épuiseront. La Fed parie sur la transitoire accélération de l’inflation et suppose que la faiblesse du marché du travail empêchera les salaires de s’ajuster à la hausse.

Ce scénario est le plus probable pour économistes et marchés, mais il n’est pas garanti.

D’une part, d’autres indicateurs du marché du travail ne se sont pas dégradés : demandes d’allocations chômage en baisse depuis fin juillet, salaires en hausse de 3,7 % sur un an, taux de licenciement à un niveau historiquement bas. Le taux de chômage a légèrement augmenté sur un an (4,3 %, contre 4 %), mais uniquement chez les moins de 25 ans. Ces données suggèrent un marché du travail gelé, sans mobilité : les entreprises ne licencient pas – parce qu’elles en ont les moyens et qu’elles craignent d’avoir des difficultés à recruter si l’économie réaccélère. Mais elles ne recrutent pas non plus. Les travailleurs ne changent pas de poste faute d’opportunités, et les jeunes peinent à trouver un emploi. Cette phase pourrait annoncer une dégradation plus marquée si les marges des entreprises venaient à se réduire. C’est probablement cette lecture qui prévaut actuellement.

Mais une autre interprétation, aux conséquences radicalement opposées, ne peut être écartée. La population active stagne depuis le début de l’année, alors que la population en âge de travailler d’origine étrangère aurait diminué de près de 2 millions. Les restrictions migratoires de l’administration Trump pourraient expliquer ce phénomène, mais les statisticiens américains qualifient cette baisse d’« improbable » compte tenu de son ampleur. Il se pourrait donc qu’une majorité d’étrangers concernés n’ait pas quitté le pays mais soit sortie des statistiques officielles, se réfugiant dans l’économie informelle. Cela expliquerait la faiblesse simultanée de la population active et de l’emploi dans les données officielles, constituant un artefact statistique. Cela expliquerait également la bonne tenue de la consommation depuis que le rapport sur l’emploi donne des signes de faiblesse.

En définitive, le juge de paix pour départager ces hypothèses sera l’évolution des salaires. Si la première, la plus probable, prévaut, la progression salariale s’affaiblira et la Fed devra baisser ses taux. Si la seconde domine, les hausses salariales resteront élevées et la consommation solide. La Fed se retrouverait alors dans une position délicate, devant faire preuve de beaucoup plus de prudence que ce que les marchés anticipent.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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