Le risque de litigation, un nouveau risque financier ?

Publié le 5 juin 2015 à 15h25    Mis à jour le 5 juin 2015 à 16h55

Hubert de La Bruslerie

Parmi les différentes catégories de risque auxquelles est soumise une entreprise, une nouvelle apparaît qui ne ressemble pas aux autres. Traditionnellement, le risque est défini à partir de sa source : risque financier lié aux variations des prix de marchés, risque de crédit lié à une défaillance ou à un refus de prêt, risque commercial lié à des ventes qui ne se concrétisent pas, risque économique lié à la conjoncture… Le risque de litigation (ou risque juridique ; on excusera l’anglicisme) est indépendant des causes qui président à son existence. Il découle de la mise en cause de la responsabilité juridique de l’entreprise et de l’incertitude de la procédure contractuelle ou découlant d’obligations réglementaires ou légales. Quand l’entreprise ne respecte pas ses obligations contractuelles ou légales, elle est exposée à un risque juridique qui se manifeste par des montants à payer. Ceux-ci peuvent être astronomiques. Les banques prises la main dans le sac à manipuler les taux d’intérêt et de change en sont une illustration sévère : 5,8 milliards de dollars d’amendes pour 6 grandes banques dont la modestie commerciale n’est pas la plus grande caractéristique.

Le risque de litigation est donc l’enjeu financier lié à un événement juridique incertain tel que la condamnation à payer ou un accord transactionnel suite à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle ou judiciaire de l’entreprise. La manifestation d’un risque juridique prend des proportions importantes notamment dans les pays de «common law». Aux Etats-Unis les «class actions» ou actions juridiques de groupe, sont systématiquement utilisées et déclenchées par des cabinets d’avocats dès l’annonce d’opérations de fusions ou d’acquisitions. Ces cabinets spécialisés attaquent systématiquement les dirigeants initiateurs ou les dirigeants de la cible soupçonnés respectivement d’avoir payé trop cher ou d’avoir accepté de recevoir trop peu en cas de cession d’entreprise. Comme dans la pêche à la ligne, il peut toujours en sortir quelque chose, ne serait-ce que des honoraires grassouillets pour les avocats.

Comment mesurer ex ante le risque de litigation ? Une voie de recherche actuellement mise en œuvre fait référence au nombre d’articles, de communiqués, de publications sous les formes les plus diverses classées dans la rubrique «Risque juridique» de méta-bases de données. Le risque de litigation est donc proportionnel au nombre de mentions qui en sont faites par les tiers.

Une étude sur 1 051 opérations d’acquisitions en Europe et aux Etats-Unis montre que le risque de litigation augmente significativement entre avant et après une transaction. Dans l’année qui précède l’opération on dénombre en moyenne 44 références de publications pour «litigation risk», au sens large du terme, dans la base de données Factiva de Dow Jones, cela pour l’acquéreur. Dans l’année qui suit l’acquisition on dénombre 55 références dans la même rubrique. Cette augmentation est l’indication d’un risque juridique accru suite à une opération de croissance externe. Comme on peut le pressentir cette augmentation n’est pas uniforme selon les secteurs et elle est plus importante pour les acquisitions qui se déroulent aux Etats-Unis comparée aux acquisitions intra-européennes. On retrouve ici l’influence de l’environnement légal.

Le risque de litigation n’est cependant pas une spécialité américaine. Il est bien identifié par les dirigeants et les directeurs juridiques de grandes entreprises des deux côtés de l’Atlantique. Une étude de Le Maux et Francoeur (European Financial Management, 2014) met ainsi en évidence que la fixation des termes de l’acquisition intègre le risque de litigation. En regardant 808 transactions en Europe, il ressort clairement de l’étude que lorsque les entreprises cibles sont porteuses d’un risque de litigation élevé les primes d’acquisition sont plus faibles.

Le risque de litigation est donc un facteur de risque qui est évalué par les investisseurs et le marché. Il est spécifique en ce sens qu’il dépend de l’entreprise, de son comportement managérial et de son secteur d’appartenance. La difficulté est que ce risque – comme tous les risques en finance – doit s’apprécier ex ante par une probabilité d’occurrence d’événements. Une difficulté supplémentaire est que ce risque est moyennement diversifiable au niveau de l’entreprise. Dans un secteur donné, par exemple la pharmacie, les entreprises se livrent à des acquisitions dans le même secteur ou dans des secteurs connexes. La corrélation entre les niveaux de risque de litigation avant et après une acquisition est positive et importante (+ 0,78). Le risque de litigation colle à la peau de l’entreprise et en est une caractéristique de longue période.

La prise en compte de ce risque est donc essentielle pour analyser une entreprise et porter une appréciation sur la création de valeur associée à une opération d’acquisition.

Hubert de La Bruslerie

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