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Le véritable impact de la finance à impact

Publié le 16 juin 2023 à 11h00

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Non seulement une entreprise choisissant d’émettre un green bond diminue ponctuellement le coût de sa dette, mais elle peut obtenir des taux d’intérêt plus faibles pour ses autres émissions de titres conventionnels, son image se trouvant globalement améliorée.

Le marché des green bonds s’est considérablement développé depuis une vingtaine d’années. Il s’agit aujourd’hui de plus de 2 000 milliards d’encours dans toutes les monnaies et les émissions représentent désormais environ 8 % du flux d’émission annuel. Cet indéniable succès a fléché des investissements verts selon un protocole standardisé qui a pu permettre aux investisseurs de participer, dans un cadre clarifié, à la politique de lutte des entreprises contre la dégradation de l’environnement. Au-delà de l’émission proprement dite, plus contraignante pour l’émetteur mais également moins coûteuse de quelques points de base, est-ce que la perception de l’entreprise par ses financeurs s’en trouve modifiée ?

Deux études récentes s’intéressent aux obligations vertes et à leur impact sur les autres titres, conventionnels, émis par les entreprises participant à ce marché. Dans « Actions speak better than words: the valuations of green commitments in the corporate bond market », trois chercheurs, un Européen et deux Chinois, analysent l’impact de l’émission d’un green bond sur les spreads des autres émissions classiques déjà existantes. Etudiant un échantillon de plus de 1 800 émissions sur le marché en dollars pendant la période 2010-2021, ils estiment que la baisse moyenne des spreads des titres classiques sur le marché secondaire, consécutive à l’émission d’un green bond, est de l’ordre de 8 points de base, sans que les CDS (dérivés de credit) ou la liquidité n’en soient effectivement modifiés. Ils attribuent notamment à des courants acheteurs de fonds SRI sur les titres conventionnels des émetteurs dont les effets sont statistiquement significatifs.

Dans « Different Shades of Green : Using Natural Language Processing to Estimate Green Bond premium », quatre chercheurs suisses s’intéressent à l’ensemble des marchés de green bonds, soit plus de 60 000 titres sur la période 2012-2021, pour tenter de déterminer l’ampleur de la « prime verte ». En utilisant les techniques d’analyse du langage naturel (NLP), ils s’intéressent à la plus ou moins grande conformité des objectifs de l’émetteur avec les principes énoncés par l’ICMA qui encadrent le marché des obligations vertes. Leur étude montre clairement que plus cette conformité est patente, plus la prime verte est importante, passant de 5 à 16 points de base, pour une amélioration d’environ un tiers de la conformité.

Un engagement clair et précis récompensé

Ces études soulignent la richesse des effets de ces marchés ciblant des investisseurs s’intéressant à d’autres caractéristiques que le rendement et le risque des obligations qu’ils achètent. Outre l’intérêt manifeste de ces obligations vertes, elles soulignent que les investisseurs adaptent leur perception de l’émetteur et de sa politique environnementale. Ainsi le prospectus des obligations vertes apparaît comme un élément déterminant, pour les investisseurs, de leur appréciation de ces politiques. L’engagement clair et précis d’un émetteur est récompensé par un effet direct sur l’obligation verte et par un effet indirect sur ses autres titres.

A un moment où les mesures de score ESG sont soumises à la critique et où la finance à impact cherche ses repères et ses limites, il est heureux de constater que de nombreux investisseurs se montrent effectivement attentifs aux emplois réels de leurs deniers selon les critères ESG. Est-ce que le marché des obligations sociales, encore dans les limbes, permettra également de mieux canaliser la demande croissante de certains investisseurs ? Qu’en est-il également des impacts indirects sur les marchés des actions ? L’étude des évolutions temporelles ainsi que des différences par devises seraient évidemment intéressantes à analyser, de même que la relation avec les réglementations. Compte tenu de l’abondante recherche académique consacrée à ces sujets, ces questions seront, espérons-le, l’objet de prochaines études.

« Actions speak better than words : the valuations of green commitments in the corporate bond market », Peter Pope, Yang Wang et Hui Xu, Inquire seminar Malta, mars 2023.

« Different shades of green : using natural language processing to estimate green bond premium », Emanuela Benincasa*, Jonathan Fu, Mrinal Mishra et Adityavardhan Paranjape, Inquire seminar Malta, mars 2023.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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