Les banques vérifient-elles le théorème de Modigliani-Miller ?

Publié le 14 mars 2014 à 10h34    Mis à jour le 26 août 2014 à 10h38

Sofiane Aboura et Emmanuel Lépinette

De récentes études estiment le risque systémique du secteur bancaire français comme étant l’un des plus élevés dans le monde. Toutefois, l’industrie financière est l’un des secteurs les plus performants de l’économie française. Ainsi, l’Etat fait face à un compromis délicat entre promouvoir une régulation pour les banques garantissant la stabilité financière et sauvegarder leur compétitivité. Le secteur bancaire est régulé non seulement du fait de sa nature systémique, mais également du fait qu’il soit amené à recueillir des dépôts qui représentent une manne financière vitale pour l’économie réelle.

Cette régulation bancaire revêt deux dimensions. Tout d’abord, la régulation du comité de Bâle qui a pour caractéristique d’être internationale, juridiquement non contraignante en soi avant d’être traduite en directives européennes. Ensuite, la régulation étatique qui est par nature nationale et obligatoire. La récente réforme du système financier s’inscrit ce cadre, qui est celui de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Rappelons que l’état français a opté, en 2013, pour la filialisation qui place les activités sensibles dans une entité autonome. Cette réforme est d’ores et déjà controversée car, d’un projet ambitieux sur la séparation bancaire, n’en ressort qu’une promesse de ne plus secourir les banques. En effet, il est stipulé que l’Etat n’octroiera plus de garanties implicites au secteur. Pourtant, l’Etat a récemment sauvé de la faillite Dexia tout comme le Crédit Lyonnais auparavant, et cela pour un montant total d’environ 20 milliards d’euros. Certes, la nouvelle loi de séparation et de régulation des activités bancaires prétend mettre fin à cette pratique. Mais n’est-ce pas là un vœu pieux quand on connaît le poids et le rôle des banques dans l’économie française ? Quel gouvernement se risquerait à ne plus aider une banque en détresse alors qu’il le fait pour des PME ? Il est légitime de penser que les garanties implicites résultent d’un accord tacite entre les Etats qui l’offrent en guise de protection aux banques, en contrepartie de la régulation qu’elles subissent.

Une problématique émerge donc sur la pertinence de l’application du théorème de Modigliani-Miller au secteur bancaire étant donné l’existence de telles garanties. Le théorème de Modigliani et Miller (1958) stipule que la valeur d’une firme est indépendante de sa structure de capital. Autrement dit, le coût de financement de la firme ne dépendrait pas des proportions de capitaux propres et de dettes. En présence de garanties implicites offertes aux banques, ce théorème est-il encore vrai ? Sa validité est un argument régulièrement invoqué par des régulateurs et des économistes pour justifier l’augmentation des fonds propres dans le cadre de Bâle III. Au contraire, les acteurs du secteur bancaire soulignent que cela va alourdir les coûts de financement et prédisent des répercussions négatives sur l’économie. Rappelons effectivement que les banquiers considèrent le rendement des capitaux propres comme la principale mesure de leur performance.

Il est contre-intuitif d’imaginer qu’un investisseur soit indifférent entre une firme garantie et une autre identique en tout point, mais non garantie. Pourtant, dans le modèle de Modigliani-Miller, un agent évalue identiquement ces deux firmes de même profil. En fait, on peut prouver qu’une firme dont la dette est garantie par l’Etat, voit sa valeur croître avec son niveau d’endettement. En effet, cette garantie implicite peut se modéliser par une option de vente en dehors de la monnaie lors de son émission. En cas de crise, cette option devient exerçable par les actionnaires. Ces derniers se prémunissent contre un risque de défaut puisque la dette est protégée. Qui plus est, cette assurance induit un effet d’aubaine leur permettant de bénéficier d’un coût d’endettement minimal. Cela s’explique par le fait que le risque de la dette est transféré aux contribuables. A cela, il faut ajouter l’incitation fiscale à s’endetter que l’Etat offre aux entreprises et aux banques par la déduction des intérêts d’emprunt. La loi de finances 2013 soulève le problème des économies d’impôts puisqu’elle précise que «le régime français de déductibilité des charges financières est aujourd’hui l’un des plus favorables d’Europe» et que «la déductibilité des charges financières sur les investissements introduit un biais fiscal au détriment du financement par fonds propres et en faveur de l’endettement», ce qui est un «encouragement à l’endettement» qui induit «des effets pervers». S’en suit une préférence naturelle des banquiers pour la dette.

Ainsi, du point de vue de la banque, l’endettement est optimal. Pour autant, le serait-il encore si l’on prenait en compte le coût social ?

Sofiane Aboura et Emmanuel Lépinette

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