Une analyse de Bruno de Moura Fernandes, responsable de la recherche macroéconomique chez Coface

Les économies émergentes, plus que jamais moteur de la croissance mondiale

Publié le 23 février 2024 à 11h06

Bruno De Moura Fernandes

Notre scénario central pour 2024, qui reste celui d’un atterrissage certes prolongé mais toujours en douceur de l’économie mondiale (+2,3 % après +2,6 % en 2023) tient plus du chemin de crête que d’un véritable boulevard. Les risques qui lui sont associés sont nombreux et, dans leur grande majorité, baissiers.

Côté géopolitique, les tensions en mer Rouge ou le risque d’extension du conflit au Moyen-Orient menacent, une nouvelle fois, de perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales. Côté économique, la victoire sur l’inflation n’est pas encore garantie dans les économies avancées et l’impact retardé des resserrements monétaires pourrait affecter encore davantage les entreprises.

En l’absence de matérialisation de ces risques, la croissance restera inférieure à la décennie précédente, mais toujours supérieure à 2 %. Et ce, plus que jamais, grâce aux économies émergentes. Face au ralentissement des Etats-Unis et à la croissance toujours atone en zone euro, les pays émergents seront le principal moteur de l’économie mondiale en 2024 en contribuant à hauteur de 1,7 point de pourcentage aux 2,3 % de croissance du PIB mondial. Plus de 70 % de la croissance mondiale sera donc imputable aux économies émergentes, un plus haut depuis 2013. Ces chiffres sont d’autant plus marquants avec une économie chinoise qui devrait ralentir nettement après avoir repris pied au second semestre 2023. Les dernières données indiquent des perspectives mitigées et déséquilibrées : le rebond de la consommation reste fragile, en l’absence de soutien fiscal de grande ampleur.

L’Asie du Sud-Est sera, une fois encore, l’un des pôles de la croissance mondiale avec une prévision de 4,6 %, après déjà 4 % l’an dernier. Le redressement de la conjoncture mondiale dans le secteur de l’électronique profitera à Singapour, au Vietnam et à la Malaisie, maillons importants de la chaîne régionale d’approvisionnement. La poursuite de la reprise du tourisme profitera également à la plupart des pays de la région, mais plus particulièrement à la Thaïlande et aux Philippines, en raison du poids prépondérant du secteur dans leur PIB.

En Indonésie, dont l’activité économique repose principalement sur la demande intérieure, la consommation des ménages restera solide. L’Afrique subsaharienne devrait également enregistrer sa plus forte croissance (hors rebond post-Covid) depuis 2014 grâce à l’accélération de toutes les principales économies de la région. Enfin, après une année 2023 difficile en raison, respectivement, d’une baisse de la production de pétrole et d’une inflation galopante, les pays du Golfe et d’Europe centrale et de l’Est connaîtront une nette reprise de l’activité en 2024. Même si, dans leur ensemble, les pays émergents seront le principal moteur de l’économie mondiale, ils resteront marqués par une profonde hétérogénéité.

Les pays les plus pauvres et les plus endettés connaîtront plus de difficultés. Si le début du cycle d’assouplissement monétaire de la Fed en cours d’année sera le bienvenu, les taux resteront cependant élevés tout au long de l’année. Associés à un dollar qui restera fort, une recrudescence des défauts souverains est à craindre. Cela sera d’autant plus le cas que les volumes de dette arrivant à échéance en 2024 et 2025 sont en forte hausse, du fait de l’accroissement des dettes publiques ces quinze dernières années, mais également, plus récemment, de l’émission d’emprunts à maturités plus courtes – bien que de plus en plus souvent en monnaie locale. Certains pays se trouvent déjà en situation de défaut, ou de quasi défaut, comme le Sri Lanka, le Ghana, l’Ethiopie, le Malawi, le Pakistan et le Laos.

Parallèlement, de nombreux pays éprouvent actuellement de grandes difficultés pour refinancer leur dette ou accéder aux devises étrangères. C’est notamment le cas, sur le continent africain, de l’Egypte ou de la Tunisie, qui restreignent les importations pour limiter l’utilisation des devises. En Amérique latine, malgré le vote d’une loi autorisant la vente des réserves d’or pour les transformer en devises en avril, les réserves de devises de la Bolivie ont continué de s’effondrer en 2023. L’Argentine, malgré la conclusion d’un accord avec le FMI, qui lui permettra tout juste de rembourser ce dernier au cours des prochains mois, fait toujours face à une situation des plus précaires.

Malgré la dévaluation du peso de 54 % en décembre et des coupes budgétaires drastiques, les réserves de devises, actuellement négatives en termes nets à hauteur de 10 milliards de dollars américains, devraient tout juste revenir à 0 en fin d’année, selon les prévisions du gouvernement. Ainsi, malgré la suppression des demandes d’autorisation pour importer, l’accès aux devises reste étalé dans le temps selon les types de biens, limitant de facto les importations. Avec une inflation désormais supérieure à 200 %, une profonde récession est inévitable, pour la deuxième année consécutive.

Au risque accru de défauts souverains viendra s’ajouter un nombre record d’élections, moments clés pouvant jouer le rôle de déclencheur ou de révélateur des tensions politiques et sociales. Dans plus de 70 pays, abritant la moitié de la population mondiale et représentant environ 55 % du PIB global, les électeurs se rendront aux urnes. Si elles ne devraient pas réserver de surprises en Russie, en Inde ou au Mexique, les élections pourraient entraîner des troubles dans des pays où nos indicateurs de risques politiques et sociaux se sont largement détériorés ces dernières années. Au-delà du Sénégal, identifié comme à risque malgré des antécédents solides en termes de stabilité politique, nous aurons un œil attentif sur les élections au Sri Lanka et en Afrique du Sud. Avant, évidemment, côté économies avancées, les élections américaines, qui sont souvent entourées d’enjeux géopolitiques, mais qui prennent une tout autre dimension dans le contexte actuel et au regard des visions du monde divergentes offertes par Joe Biden et Donald Trump, candidats les plus probables à ce jour.

Bruno De Moura Fernandes Responsable de la recherche macroéconomique ,  Coface

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