Les impacts de MiFID 2 sur l’analyse financière

Publié le 4 février 2022 à 18h29

Pascal Dumontier    Temps de lecture 5 minutes

Applicable depuis janvier 2018, la directive européenne MiFID 2 impose aux brokers de facturer la recherche indépendamment de l’exécution des ordres. S’il s’agit dans l’esprit du législateur d’accroître la transparence sur le coût de la recherche et de favoriser le développement de la recherche indépendante, beaucoup craignent qu’une telle mesure entraîne un assèchement de la recherche au détriment des investisseurs, notamment des investisseurs de détail et des émetteurs de valeurs mobilières. Qu’en est-il précisément ?

Deux études récentes1 permettent de mieux appréhender les effets de MiFID 2 en Europe. S’appuyant sur les données IBES, elles analysent ces effets sur trois dimensions : l’offre d’analyse financière, captée par le nombre d’analystes en activité ; la qualité de la recherche, captée par les erreurs de prévisions des analystes et l’impact de leurs recommandations sur le cours des titres recommandés ; l’asymétrie d’information entre offreurs et demandeurs de titres, captée par le bid-ask spread et la réaction du marché aux publications comptables. Afin de garantir que les effets observés sont véritablement imputables à MiFID, les deux études reposent sur des régressions en double différence. Celles-ci permettent de comparer, toutes choses égales par ailleurs, la situation avant MiFID à la situation après MiFID pour un échantillon de firmes européennes, censées être suivies par des analystes domiciliés en Europe soumis aux contraintes de la directive, et pour un échantillon de firmes américaines, censées être suivies par des analystes non concernés par MiFID parce que domiciliés aux Etats-Unis.

Pour ce qui est de l’offre d’analyse financière, l’étude de Guo et Mota montre une chute du nombre des analystes sell side en activité en Europe. Après prise en compte des facteurs connus pour affecter le nombre des sell sides qui suivent une firme et compte tenu de l’évolution de ce nombre sur la même période aux Etats-Unis, l’ampleur de cette chute peut être estimée à 7,67 %. La réduction du nombre des analystes n’a toutefois pas affecté la qualité de la recherche, bien au contraire. Pour ce qui est des prévisions de bénéfices, elles sont moins dispersées et de meilleure qualité après MiFID. Les erreurs de prévision se réduisent significativement probablement du fait d’une plus forte concurrence entre analystes, les investisseurs n’acceptant de rémunérer la recherche que s’ils la jugent à forte valeur ajoutée. L’argument d’une plus forte concurrence semble d’ailleurs conforté par deux résultats complémentaires : la chute du nombre des sell sides concerne essentiellement les firmes à forte capitalisation boursière ; les analystes qui ont survécu sont ceux qui produisaient les meilleures prévisions avant MiFID. Il semble donc que MiFID n’ait fait que conduire les analystes les moins performants à abandonner les firmes les plus suivies. Pour ce qui est des recommandations, l’étude constate qu’elles entraînent après MiFID des réactions de cours significativement plus fortes. Ces recommandations seraient donc devenues plus informatives et par conséquent plus utiles. L’étude s’intéresse enfin aux impacts de marché de MiFID 2. Elle montre que MiFID fut sans effets informationnels notoires. Les chiffres comptables étant d’autant plus informatifs que l’information dont dispose les investisseurs est pauvre, on peut s’attendre à ce que leur publication impacte plus fortement les cours de Bourse si MiFID a entraîné un assèchement de l’information. Ce n’est pas le cas. MiFID fut par ailleurs sans effet sur le niveau moyen des bid-ask spreads, ce qui suggère que l’asymétrie informationnelle n’a généralement pas augmenté.

Fang, Hope, Hiang et Moldovan font le même constat. MiFID a entraîné une forte baisse du nombre des analystes sell side en Europe estimée à 6,12 % et un accroissement de la qualité des prévisions de résultat. L’étude montre surtout que la baisse du nombre des sell sides s’est accompagnée d’une hausse du nombre des buy sides, probablement parce que les coûts économisés grâce à MiFID ont permis aux institutionnels de renforcer leurs propres équipes d’analystes. Se focalisant sur seulement deux dates (12 juin 2017 et 3 avril 2019), du fait de la difficulté à collecter l’information sur les buy sides, et adoptant une approche en double différence, l’étude montre une augmentation significative du nombre des buy sides en Europe. Ceci est confirmé par les transcriptions des conférences téléphoniques entre entreprises et analystes. Il apparaît clairement qu’en Europe MiFID a entraîné, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation significative du nombre des buy sides participant à ces conférences, du nombre des questions qu’ils posent à leurs interlocuteurs et du nombre d’échanges avec ces interlocuteurs.

Ces études sont riches d’enseignements mais elles sont encore insuffisantes pour au moins trois raisons : elles couvrent une période post-MiFID trop courte ; elles n’analysent pas suffisamment les impacts de marché qui, au bout du bout, sont les seuls qui importent ; elles ne tiennent pas compte de ce que MiFID ait pu affecter différemment investisseurs de détail et investisseurs institutionnels. 

1.Fang B., Hope O., Hiang Z., and Moldovan R. (2020) The effects of MiFID II on sell-side analysts, buy-side analysts, and firms. Review of Accounting Studies, vol. 25, n° 3, p. 855-902.

Guo Y., and Mota L. (2021) Should information be sold separately? Evidence from MiFID II. Journal of Financial Economics, vol. 142, n° 1, p. 97-126.

Pascal Dumontier Professeur, DRM Finance ,  Université Paris-Dauphine

Pascal Dumontier est professeur, DRM Finance à l’Université Paris-Dauphine

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