Quand l’Etat chinois autorisera des défauts

Publié le 21 février 2014 à 12h46    Mis à jour le 21 février 2014 à 18h45

Michala Marcussen

Une nouvelle fois les craintes d’un atterrissage brutal de la Chine ont été ravivées. Cette fois-ci, ces craintes sont venues des difficultés de paiement éprouvées par plusieurs fonds financiers chinois – à la suite de la faillite d’une compagnie minière. Par ailleurs, si l’augmentation des crédits observée en janvier est bienvenue en ce qui concerne les perspectives de croissance à court terme, elle continue d’alimenter un modèle de croissance insoutenable, où l’investissement est essentiellement financé par la dette. Et si les autorités chinoises renonçaient à leur promesse d’un ralentissement du crédit, s’adonnant ainsi à la facilité de la création monétaire, cela pourrait annoncer des difficultés plus grandes encore. Il y a de fortes chances que le fort rebond du volume de prêt observé en janvier ne soit que temporaire. Il pourrait en effet s’agir d’un bref sursaut des emprunteurs et des prêteurs, soucieux de s’emparer d’une bonne part du quota de prêts annuels octroyé par l’Etat.

Ce phénomène est traditionnel en Chine et cela impliquerait un ralentissement notable dans les prochains mois. On ne peut toutefois pas exclure que les dirigeants chinois n’autorisent une nouvelle fois le secteur bancaire traditionnel à opérer une expansion du crédit plus importante que par le passé afin de maintenir le rythme de croissance de l’économie chinoise. Cela reporterait de facto l’indispensable désendettement. Depuis longtemps nous anticipons que le modèle économique où l’investissement est essentiellement financé par la dette doive connaître un ajustement. Il nous semble que cet ajustement commence bel et bien à se manifester aujourd’hui. Jusqu’à présent, les investisseurs chinois avaient le sentiment que le gouvernement offrait une garantie implicite à la plupart des produits d’épargne, et en particulier à ceux proposés par les fonds de la finance informelle (trusts).

Pour l’heure, cette hypothèse s’est globalement révélée juste. Nous continuons cependant d’estimer que pour mener une politique de désendettement sérieuse, le gouvernement devra accepter l’éventualité d’un défaut de certains de ces établissements, ce qui se traduira inévitablement par des pertes pour les investisseurs privés. Nous pensons que les autorités chinoises restent déterminées à ralentir le rythme du crédit et nous prévoyons que les premiers défauts se matérialiseront en 2014. Le risque serait alors que la panique gagne la plupart des investisseurs, ce qui serait alors susceptible d’engendrer une vague de défauts parmi les emprunteurs les plus fragiles, ceux qui dépendent du système bancaire informel (shadow). Nous considérons toutefois que le gouvernement chinois conserve une importante mainmise sur le système financier et que cela devrait permettre d’éviter une crise systémique.

Notre prévision d’une croissance de 6,9 % du PIB en 2014 se situe toutefois en dessous des attentes du consensus. Nous fixons à 20 % la probabilité que la croissance du PIB passe sous la barre des 5 % en 2014, ce qui amputerait le PIB mondial d’environ 1,5 pp au cours de la première année après le choc. Dans un tel scénario, d’autres économies émergentes pourraient être particulièrement touchées sous l’effet des liens commerciaux directs qu’elles entretiennent avec la Chine, de la baisse des prix des matières premières et de l’accroissement de l’aversion au risque sur les marchés financiers. En cas d’atterrissage brutal de la Chine, les économies avancées renforceraient les mesures de soutien monétaire sous la forme d’un nouvel assouplissement quantitatif (Réserve fédérale, Banque d’Angleterre et Banque du Japon).

La BCE déclare qu’elle pourrait également prendre des mesures décisives si une crise déflationniste venait à se matérialiser. Nous pensons toutefois qu’il va être difficile pour la BCE, en raison de la décision adoptée récemment par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, de suivre la voie des autres grandes banques centrales. Les juges de la Cour de Karlsruhe ont noté en effet que le statut pari passu de l’OMT a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de ce programme de rachat d’obligations souveraines de la zone euro par la BCE et que donc l’OMT était contraire au Traité de Maastricht. Par conséquent, dans l’hypothèse où la BCE serait amenée à procéder dans le futur à des rachats massifs d’obligations d’Etat, elle devrait agir en dehors de la clause pari passu, rendant ainsi une telle politique moins efficace.

Si l’atterrissage brutal de la Chine venait à se produire aujourd’hui, il interviendrait à un moment où un nouveau cadre européen est en train de se mettre en place. Les nombreux avertissements de Mario Draghi incitant les responsables politiques européens à utiliser le temps – qu’il avait réussi à acheter – pour accélérer les reformes n’ont pas été suffisamment pris en compte, laissant la zone euro vulnérable à tout nouveau choc. Un atterrissage brutal de la Chine apparaît aujourd’hui comme l’un des principaux événements susceptibles de réactiver la crise de l’euro.  

Michala Marcussen

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