Une croissance mondiale  résiliente mais à risques

Publié le 19 janvier 2024 à 17h54

Ana Boata

L’année 2024 s’annonce mouvementée sur le plan géopolitique, avec 60 % du PIB mondial qui sera concerné par des élections, et aucune région ne sera épargnée : élections du Parlement européen, élections législatives au Royaume-Uni, élections présidentielles aux Etats-Unis, ou encore en Asie (Indonésie, Inde, Corée du Sud), et en Amérique latine (Mexique, Uruguay). Cette incertitude politique devrait générer un certain attentisme de la part des ménages, des entreprises et des investisseurs, et ainsi décaler les potentielles décisions de ces agents économiques. Pas de quoi envisager un fort rebond de l’activité économique internationale.

Selon nos prévisions de croissance, l’économie mondiale devrait ainsi légèrement ralentir en 2024 (+ 2,4 % après + 2,7 % en 2023), avant de repartir de l’avant en 2025 (+ 2,8 %). Une situation que l’on pourrait qualifier d’atterrissage en douceur pour les Etats-Unis, où la croissance est attendue l’année prochaine à + 1,4 % (contre + 2,4 % en 2023) mais également en zone euro, avec une croissance économique attendue à + 0,8 % (contre + 0,5 % en 2023). Concernant le Vieux Continent, les risques de récession au premier semestre 2024 restent considérables, étant donné que seulement 60 % des hausses de taux d’intérêt ont jusqu’ici été transmises à l’économie réelle. En France, un léger ralentissement de la croissance économique est attendu l’année prochaine (+ 0,7 % contre + 0,8 % en 2023), avant un rebond plus prononcé en 2025 (+ 1,5 %).

Face au ralentissement de la demande et à un effet de base positif sur l’énergie et les produits alimentaires, la désinflation gagne du terrain. Chez Allianz Trade, nous prévoyons que l’inflation mondiale devrait s’établir à 4,6 % fin 2024, soit un recul de – 2 points par rapport à fin 2023 (6,6 %). Un nouveau recul est attendu en 2025, cette fois de – 1 point (3,6 %). Cette année, la tendance sera particulièrement marquée aux Etats-Unis, avec un recul de l’inflation attendu de – 3,3 points (3,8 % contre 7,1 % en 2023) et de – 3 points en zone euro (2,5 % contre 5,5 % en 2023). Du côté de l’Hexagone, la tendance devrait être similaire, avec un recul de l’inflation de – 3,1 points en France, en 2024 (1,8 % contre 4,9 % en 2023).

Dans ce contexte, nous estimons que les banques centrales effectueront leur pivot plus tôt que prévu, à l’été 2024, mais de manière très progressive et précautionneuse afin de ne pas relancer un nouveau cycle inflationniste. Selon notre scénario, les taux devraient atteindre 4,5 % aux Etats-Unis, 3,5 % en zone euro et 4,5 % au Royaume-Uni, d’ici fin 2024.

Mais l’actualité récente pourrait venir rebattre certaines cartes, suite aux attaques perpétrées par les Houthis sur les navires commerciaux naviguant en mer Rouge, par laquelle transitent un tiers du trafic global de containers et 40 % des échanges Asie-Europe. Toutefois, la demande de biens reste aujourd’hui modérée, les stocks des entreprises sont assez élevés et le fret maritime a augmenté ses capacités avec de nouveaux porte-conteneurs : autant de facteurs qui atténuent, pour l’heure, les impacts de la situation actuelle.

Alors de quels impacts potentiels parle-t-on ? Une multiplication par deux des coûts du fret maritime générerait + 0,7 point d’inflation en Europe et aux Etats-Unis, contre + 0,3 point en Chine. Pour l’inflation mondiale, cela signifierait une hausse de +0,5 point, soit 5,1 % d’inflation en 2024 dans notre scénario. Cela se traduirait par un impact de – 0,9 point de croissance du PIB pour l’Europe, augmentant les risques de récession, et de – 0,6 point pour les Etats-Unis, près de la moitié de la croissance attendue en 2024. A l’échelle mondiale, l’impact sur la croissance du PIB serait de – 0,4 point, ce qui la limiterait à + 2 % cette année.

Si les perturbations s’avéraient plus durables, l’impact sur la croissance du commerce mondial (en volume) pourrait atteindre – 1,1 point au niveau actuel des prix. La croissance des échanges internationaux se limiterait alors à + 1,9 % en 2024, ce qui accroîtrait le risque de voir le rebond du commerce mondial décalé. Autre cas de figure plus alarmiste, si le canal de Suez venait à être entièrement bloqué, l’impact serait alors de – 3 pp sous trois mois, ramenant le commerce mondial dans une deuxième année consécutive de récession.

En résumé, l’économie mondiale n’atteindra malheureusement pas un niveau de forme olympique en 2024, avec une croissance qui devrait ralentir légèrement mais qui pourrait aussi se voir affectée par les perturbations actuelles du commerce mondial en mer Rouge. En parallèle, nous surveillerons de très près les politiques budgétaires déployées par les nouveaux gouvernements élus ainsi que la décision des banques centrales à l’été prochain, qui devraient influencer notre scénario pour l’année 2025 qui, nous l’espérons, permettra à l’économie mondiale de retrouver un élan de croissance plus favorable et dynamique.

Ana Boata Directrice de la recherche économique ,  Allianz Trade

Ana Boata est directrice de la recherche économique d’Allianz Trade

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