Vers un monde sans emprunteurs ?

Publié le 12 février 2016 à 16h30    Mis à jour le 12 février 2016 à 18h24

Anton Brender

Hans Werner Sinn, président du plus connu des instituts économiques allemands, l’IFO, va dans quelques semaines prendre sa retraite. Il n’en a pas pour autant tardé à réagir à l’idée que la Banque centrale européenne pourrait retirer de la circulation les billets de 500 euros. La mesure, vient-il d’expliquer dans un long article, n’a rien à voir avec un quelconque souci de lutte contre la criminalité, comme on semble vouloir le laisser entendre. L’objectif, inavouable bien sûr, est de préparer le terrain à une pénalisation plus marquée des réserves excédentaires des banques européennes auprès de leur banque centrale. Le raisonnement est d’une arithmétique implacable. La limite au taux négatif appliqué actuellement à ces réserves est fixée par les frais qu’occasionneraient leur conversion en billets et leur conservation dans des coffres. Si l’on supprime les billets de 500 euros, les banques ne pourront demander, pour les stocker, que des billets de 200 euros. Les coûts de l’opération seront donc multipliés par 2,5 et le taux de la facilité marginale de la banque centrale (aujourd’hui de – 0,30 %) pourra être abaissé jusqu’à – 0,75 %. La banque centrale pourra ainsi faire baisser plus bas encore les taux d’intérêt dans la zone euro, pour le plus grand avantage des Etats endettés et au grand dam des épargnants, allemands en particulier, qui n’auront que leurs yeux pour pleurer.

L’analyse de celui qui reste le plus écouté des économistes allemands peut surprendre. Si la banque centrale veut empêcher les banques d’échapper à ce taux négatif en détenant des billets plutôt que des réserves, elle peut tout simplement faire ce que vient de faire la Banque du Japon : appliquer ce même taux au surcroît de billets que les banques mettront dans leur coffre. A la différence des particuliers, les banques ont un bilan et le montant des billets qu’elles détiennent ne peut être dissimulé ! Le plus surprenant est toutefois ailleurs. Pour H.W. Sinn, il n’y a pas de doute, le niveau des taux que nous connaissons, et a fortiori celui plus bas encore que l’on pourrait observer demain, prive les épargnants du fruit mérité de leurs efforts passés d’abstinence. Il est loin, explique-t-il avec nostalgie, «le temps où l’on retrouvait, pour sa retraite, trois fois les sommes que l’on avait mises de côté pendant sa vie active».

Faut-il en imputer la faute aux banques centrales ? Bien sûr, sans leurs mesures non conventionnelles, les taux seraient, à toutes les échéances, plus élevés qu’aujourd’hui. La situation de l’économie européenne en serait-elle meilleure pour autant ? On peut en douter. Ce que refuse de voir H.W. Sinn est que la politique de la BCE, comme celles menées actuellement par d’autres banques centrales, ne fait que permettre aux marchés obligataires de traduire de manière plus nette une réalité : le monde est aujourd’hui à court d’emprunteurs «sans risque», et bientôt peut-être d’emprunteurs tout court ! Certes, si l’on paie aujourd’hui l’Etat allemand – et même l’Etat français dont la faillite est pourtant depuis longtemps annoncée – pour qu’il emprunte pour quelques années votre argent, la BCE y est pour quelque chose. Mais elle n’oblige pas les épargnants à souscrire à ces emprunts. Ces placements «spoliateurs» ne sont pas les seuls possibles : rien n’interdit à qui veut en prendre le risque de prêter à un meilleur taux à qui voudra bien lui emprunter, voire d’acheter des actions (dont les cours viennent de chuter lourdement !).

Ce que ne veulent pas voir les détracteurs des politiques non conventionnelles menées par les banques centrales, en Europe en particulier, est qu’elles répondent à une situation de détresse : elles tentent, faute de recevoir une aide de la politique budgétaire, d’endiguer seules les pressions déflationnistes qui pèsent toujours sur leurs économies. Les taux d’intérêt que nous connaissons ne font en effet que refléter un excès d’épargne qui perdure : l’économie mondiale est incapable d’absorber toute l’épargne qui tend à s’y dégager. L’Allemagne à elle seule continue d’exporter plus de 250 milliards d’euros d’épargne dont elle n’a pas chez elle l’usage, et que l’on ne se dispute visiblement pas, ailleurs, pour emprunter. Dans un tel monde, n’est-il pas normal que la rémunération de l’épargne, en Allemagne en particulier, soit de plus en plus faible, voire éventuellement, demain, négative ?

Anton Brender

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