Hans-Helmut Kotz, Center for European Studies, Harvard University

Une boussole plutôt verte pour Christine Lagarde ?

Publié le 14 février 2020 à 19h10

Hans-Helmut Kotz

Depuis la grande crise financière et surtout après l’émergence de graves tensions dans la zone euro, la politique monétaire a été perçue comme le seul «pilote dans l’avion». Non sans danger, car cela déresponsabilisait les autres actions politiques, à commencer par la politique budgétaire. 

Néanmoins, les instruments habituels des banques centrales – les taux d’intérêt – ayant atteint un plancher (aux alentours de zéro), ils sont devenus inopérants. De ce fait, ces institutions ont été forcées de devenir non conventionnelles, chacune à leur manière, en fonction de leur situation propre (structure des marchés financiers, marché du travail, politique budgétaire). Un vrai défi, notamment pour la Banque centrale européenne (BCE), confrontée à une très grande variété de situations nationales.

En conséquence, depuis quelque temps, un débat public a été lancé sur la politique stratégique des banques centrales. La Réserve fédérale américaine, par exemple, s’est engagée dans cette voie. Elle organise même des réunions sur le terrain, pas seulement pour prêcher mais aussi pour écouter ! 

La BCE, sous la direction de Christine Lagarde, ne veut pas rater l’occasion. Au début du mois de février, lors du Comité économique et monétaire du Parlement européen (PE), la présidente de la BCE a présenté ses idées avec conviction. Et mercredi dernier, elle dévoilait au Parlement à Strasbourg ses réflexions sur la «boussole monétaire». Au-delà du débat sur la cible d’inflation, les instruments et la communication de la politique monétaire, d’autres indicateurs comme l’emploi, la stabilité financière, ainsi que la dimension environnementale pourraient aussi être pris en compte pour définir le cap de la BCE. Un très vaste dossier ! 

Révolutionnaires, ces propos le sont certainement. Pour les puristes, ce sont même des sujets (ou des objectifs) inadmissibles. Dans l’ancien régime, le monde était beaucoup plus simple. Au début (en 1998), le problème qui occupait tous les esprits était l’inflation. Dès lors, l’objectif primordial, voire unique, était de garantir la stabilité du pouvoir d’achat. Cet objectif était censé définir, pour la BCE, le cadre d’interprétation des informations économiques et ses modalités d’intervention à travers ses instruments monétaires. 

En 2003, dans sa (première et dernière) réévaluation de sa mission, la BCE a plus ou moins confirmé ce concept originel en précisant que l’inflation devait être «inférieure, mais proche de 2 %», à moyen terme. De plus, le pilier monétaire a été «rétrogradé» au deuxième rang de la stratégie de la BCE, derrière celui de l’interprétation des indicateurs économiques, portant sur les perspectives de l’inflation. Il n’empêche, dans la communication, le pilier monétaire a conservé le même poids qu’avant. Et le comportement de la BCE n’a pas changé. 

Avec la grande crise financière et, en Europe, les problèmes de certaines dettes souveraines, le monde a fondamentalement changé. A partir du moment où les taux directeurs ont largement perdu leur capacité d’orientation, les banques centrales ont été forcées de devenir non conventionnelles, en naviguant à vue.

Face à ce nouvel environnement, le débat sur la responsabilité des autorités monétaires va bien au-delà de la quantification de l’objectif primaire d’inflation – symétrique, aux alentours de 2 % ? – et de la reconnaissance de l’importance de l’objectif de stabilité financière, et doit aussi porter sur les questions de développement durable. 

Les autorités de supervision réclament aux banques commerciales de prendre en compte les risques climatiques de leur portefeuille d’actifs. Ce sujet peut impliquer des risques systémiques, qui auraient des répercussions sur la politique monétaire. Dès lors, il paraît difficile pour la BCE d’ignorer ces scénarios. Certaines propositions suggèrent même que la BCE intervienne d’une manière non neutre, en n’achetant plus d’obligations d’émetteurs censés être néfastes pour le climat. Ces arbitrages seraient toutefois difficiles, car ils relèvent inévitablement du politique. 

Tout cela entraîne un grave risque de surcharge pour la BCE. Dans le vieux monde, le nombre des objectifs à poursuivre était logiquement limité par celui des instruments disponibles. Ce qui supposait aussi une répartition des tâches entre politique monétaire, budgétaire et salariale. A chacune de balayer devant sa porte. La boussole était simple et elle donnait une orientation correcte, sans poser de (graves) problèmes de légitimité. Cependant, dans le nouveau régime, les perspectives se sont brouillées, conduisant la BCE à devenir plus politique. Il est dommage, à ce titre, qu’une quarantaine de parlementaires seulement aient été présents lors du discours de Christine Lagarde à Strasbourg. Un sérieux déficit d’engagement de la part des autres… 

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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