Un encadrement du crédit à l’européenne

Publié le 5 juin 2014 à 18h16    Mis à jour le 6 juin 2014 à 17h43

Hans-Helmut Kotz

La journée de jeudi dernier aura sonné le glas d’une politique monétaire puriste. Après avoir introduit le SMP (programme d’achats limité de dettes publiques), les LTRO (opérations de refinancement à long terme), et autres OMT (opérations monétaires sur titres), la BCE est devenue réellement non conventionnelle. A l’européenne, bien sûr. C’est-à-dire d’une manière plus compliquée.

Après quelque sept années de crise, donc quatre très difficiles dans les pays de la périphérie de la zone euro, la BCE reconnaît être confrontée à une trop grande hétérogénéité économique au sein de l’union monétaire. Un seul instrument – la politique de taux d’intérêt – ne suffit plus pour gérer la marche de pays si différents. Toutefois, la baisse du taux directeur de 0,1 point à 0,15 % est plutôt symbolique : son niveau est tel qu’une baisse n’aura que peu d’impact sur les décisions d’investissements.

De même, la pénalisation des dépôts bancaires auprès de la BCE avec un taux négatif ne peut guère forcer les banques à octroyer davantage de crédits, du moins pas à des débiteurs considérés comme trop fragiles. Finalement, la mesure la plus innovante est le financement des banques conditionné à l’octroi de crédits aux entreprises, le funding for lending à l’européenne. Mais il présuppose que les banques manquent de fonds propres pour prêter. Cette politique est vaine si ce sont plutôt les entreprises qui manquent de projets d’investissement à financer. Or telle est la situation actuelle en Europe, surtout dans les pays du Sud.

Mais que penser de la dernière idée de la BCE consistant à réactiver le marché de la titrisation ? Dans un document signé par elle et par la Banque d’Angleterre, publié récemment, tous les avantages de ce type de financement sont détaillés. Mais ce type de financement ne peut concerner que des actifs spécifiques, qui peuvent faire l’objet de produits standardisés, comme les cartes de crédit.

Or tel n’est pas le cas des financements PME, qui sont hétérogènes et nécessitent beaucoup d’informations. Ils sont donc mieux adaptés à l’intermédiation bancaire. Malgré tout, la BCE veut soutenir la titrisation, car elle estime que cette dernière lui permettrait de mieux cibler ses financements en fonction des besoins des pays. La politique monétaire ne serait plus «one-size fits all». Un résultat qu’un programme d’achats d’actifs – le quantitative easing –, pondéré par les poids des pays membres, n’obtiendrait pas. En outre, comme la titrisation porterait sur de la dette privée, elle constituerait une alternative de financement pour la banque centrale, qui a interdiction depuis le Traité de Lisbonne, de monétiser la dette publique.

Au final, on essaie de changer de système financier – avec moins d’intermédiation bancaire et plus d’appels aux marchés – pour rétablir l’efficacité de la politique monétaire. La démarche est innovante. En fait, la politique de la BCE s’inspire de la méthode française d’autrefois : pour écarter le risque de trop faible inflation, voire de vraie déflation, on applique une variante moderne de l’encadrement du crédit. Le but est, comme à l’époque, de réguler la distribution du financement d’une manière ciblée, en se focalisant surtout sur l’amélioration de l’accès au crédit des PME, en particulier dans les pays de la périphérie européenne. Cet encadrement moderne doit aider l’inflation à se rapprocher de l’objectif de la BCE – une inflation proche de 2 % au maximum. Il faut le souligner : le but recherché n’est surtout pas de soutenir la croissance ou l’emploi car la BCE n’a pas de tels objectifs. Mais pour aboutir au niveau d’inflation visé par la BCE, il faut plus de dynamisme dans l’économie de l’euro zone, et notamment dans les pays les plus touchés par la crise.

Malheureusement il n’est pas du tout sûr que c’est un «credit crunch» qui freine les entreprises grecques, espagnoles ou encore portugaises. Selon le principe «no harm» (pas de dégâts), il est légitime que la BCE agisse d’une manière non conventionnelle. Mais, bien qu’elle soit l’institution la plus forte (et par conséquent, pour des raisons du jeu politique, la plus faible) européenne, elle est parvenue à ses limites. Donner des perspectives aux entreprises pour se lancer dans des investissements requiert des initiatives sur l’offre et la demande. Celles-ci relèvent de la politique budgétaire et de réformes structurelles que doivent mener les Etats eux-mêmes. L’action de la BCE ne peut avoir qu’un impact à la marge sur la reprise de l’économie.

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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