L'analyse de Ludovic Subran

Commerce mondial : ne réveillez pas le panda chinois

Publié le 13 juillet 2018 à 14h55

Ludovic Subran

Par Ludovic Subran, chef économiste, Euler Hermes

Des Jeux olympiques de Pékin aux bandes dessinées, en passant par le Fonds mondial pour la nature (WWF), le panda est connu pour être à la fois l’animal le plus calme de la planète (tant qu’il a du bambou à portée de main) et le symbole de la Chine. Dans les années 1970, la République populaire de Chine appliquait d’ailleurs ce qu’on appelait la «diplomatie du panda», offrant à des zoos américains et japonais de nombreux pandas en guise de cadeau diplomatique. Mais quarante ans plus tard, la Chine est reconnue dans le monde entier de façon autrement plus sérieuse : elle est la deuxième plus grande économie internationale, juste derrière les Etats-Unis.

Quarante ans plus tard toujours, les Etats-Unis ont justement la Chine dans le collimateur. Que ce soit dans ses promesses de campagne ou dans ses annonces les plus récentes, celle-ci fait souvent office de cible numéro un pour le Président Trump. Le tout dans un contexte de résurgence du protectionnisme américain qui génère de la volatilité financière et des tensions commerciales. Une situation qui fait trembler tout le globe… et qui devrait effrayer la Chine plus encore que les autres pays ?

Au cours des dix dernières années, Xi Jinping et Li Keqiang ont réussi à transformer le modèle économique de la Chine. L’économie, auparavant soutenue par l’investissement et les exportations, se repose désormais sur la demande domestique, grâce à une industrialisation et à une tertiarisation rapide. La Chine continue de surprendre le reste du monde avec un policy-mix particulièrement judicieux et intelligent, incitatif tant pour le secteur public que privé, afin d’établir une croissance stable et de long terme. Le pays ne joue plus dans la même cour et poursuit sa transformation en profondeur sans y laisser de plumes : l’atterrissage est maîtrisé, avec une croissance qui devrait rester supérieure à + 6 % en 2018 et 2019.

Les autorités locales ont élaboré le plan à suivre. Elles ne recherchent plus de solutions provisoires et apprennent des échecs des politiques menées par les autres pays. Si je devais évoquer trois politiques chinoises qui le prouvent, je mentionnerais : la rapide libéralisation financière, combinée à des politiques macro-prudentielles contenant le risque de crédit ; l’initiative Belt and Road, qui permettra à la Chine de renforcer sa présence et son assise en Asie, tout en souplesse ; des politiques industrielles et d’innovation fascinantes, articulées autour du projet China 2025, qui a déjà permis l’éclosion des fameux BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), les GAFA chinoises. Il est important de noter que cette politique d’innovation s’est faite au détriment de nombreuses entreprises zombies détenues par l’Etat, qui ont fait faillite ces dernières années. 

Malgré toutes ces forces, la Chine ne serait pas moins vulnérable qu’un autre en cas de guerre commerciale totale. La récente dépréciation du renminbi face au dollar, prétendument positive pour la compétitivité chinoise, complique la tâche des autorités locales, dont la volonté est de s’appuyer sur l’épargne privée pour financer la croissance domestique et externe. Elle réduit également la rentabilité des entreprises et le revenu disponible des ménages. Enfin, le risque d’impayé, bien qu’en recul, reste élevé en Chine : les défaillances d’entreprises devraient croître de moitié en 2018. Le pays a besoin de plus de temps pour dégonfler la bulle de l’immobilier, renforcer les connaissances financières des individus, améliorer la gouvernance et la régulation, et développer des filets de sécurité.

Cependant, on ne peut pas exclure des représailles chinoises si des mesures américaines étaient appliquées. «Œil pour œil, dent pour dent», dit la loi du talion. Je rajouterais qu’il faut «se méfier de l’eau qui dort». Car la Chine a à sa disposition une boîte à outils bien remplie pour répondre aux attaques, et affecter au passage les échanges, la croissance et la liquidité à l’échelle mondiale : allonger les temps de contrôles douaniers, inciter (voire contraindre) les investisseurs internationaux à rapatrier leurs dividendes (particulièrement dans les services financiers), ou encore appeler au patriotisme économique pour freiner des marchés entiers.

On dit souvent du panda qu’il est mignon. Mais ne vous fiez pas aux apparences : réveiller le panda chinois, c’est s’exposer à sa colère !

Ludovic Subran

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