Qui sont les gagnants et les perdants des taux bas en zone euro ?

Publié le 22 novembre 2019 à 12h22    Mis à jour le 22 novembre 2019 à 18h10

Ludovic Subran

En zone euro, cela fait maintenant plus de dix ans que nous vivons avec des taux d’intérêts proches de zéro, voire négatifs. Il est donc grand temps de faire le bilan de cette décennie, perdue pour l’épargnant, et gagnée pour l’emprunteur, comme la caricaturent certains. Nous ne répondrons pas à la question que tout le monde se pose : qui de l’œuf (démographie, productivité, et croissance faibles) ou de la poule (ici, la Banque Centrale Européenne) est coupable des taux bas ? Nous ne listerons pas non plus de manière exhaustive — et très dogmatique — les externalités positives (plus d’emplois, moins de stress financier) et négatives (davantage de bulles et de zombies, une moindre stabilité financière) de cette décennie atypique. Il s’agit ici de déterminer qui sont les grands gagnants, et les grands perdants des taux bas en zone euro ? Les Allemands ont-ils raison de se plaindre ? Les Italiens doivent-ils sabrer le Prosecco ? Les Français doivent-ils descendre dans la rue ?

Pour répondre à cette question, nous avons choisi d’utiliser un juge de paix par souci de simplicité : le revenu net d'intérêt. Il se calcule comme intérêts reçus moins intérêts payés, par agent (Etats, ménages, entreprises, financières et non financières), dans les principaux pays de la zone euro.

Roulements de tambour.

L’Allemagne est en réalité la grande gagnante de la politique des taux bas. Nulle part en Europe, un Etat n’a profité davantage que l’Allemagne de la baisse des taux d’intérêts. Depuis 2008 (et jusqu’en 2018 inclus), les revenus nets d’intérêts ont progressé de 184 milliards d’euros, ce qui vient plus que compenser les pertes subies par les ménages allemands au cours de cette période (123 milliards d’euros). De la même manière, les revenus nets d’intérêts des entreprises allemandes ont augmenté de 166 milliards d’euros, rattrapant ainsi la perte encaissée par les banques (114 milliards d’euros).

A l’inverse, la France accuse la plus grande perte au total : 63 Mds d’€, soit 3% de son PIB. Les banques françaises ont été particulièrement touchées par la politique des taux bas (-282 Mds) et les gains des entreprises non financières et de l’Etat (respectivement 161 et 57 Mds) sont très insuffisants pour compenser cette perte. L’impact sur les ménages est quasiment nul (1 milliard en dix ans). Une trop faible prise de risque dans l’allocation de leur épargne (trop peu d’actions dans leur portefeuille) ?

En Europe, seule l’Espagne (181 Mds) a profité davantage que l’Allemagne (114 Mds), tous secteurs confondus, de la baisse des taux. D’autres pays comme le Portugal (19 Mds) ou les Pays-Bas (87 Mds) font également partie des gagnants de cette politique. Les banques néerlandaises sont les seules à avoir su profiter des taux bas. Toutes les autres banques ont subi une détérioration de leur revenu net d’intérêt. Cette détérioration est parfois si forte qu’elle pénalise le pays dans son ensemble (en France et en Finlande).

A contrario, l’Autriche (2 Mds) et la Belgique (15 Mds) viennent compléter la liste des perdants de la politique des taux nuls. Ces chiffres nationaux cachent d’importantes disparités au sein des pays. Par exemple, si l’Italie a largement profité des taux bas (+99 Mds) avec un Etat et des entreprises plus endettées que la moyenne, les ménages italiens ont été largement pénalisés (-241 Mds). Ces derniers ont traditionnellement un portefeuille obligataire important, des placements qui n’ont pas retrouvé leur rendement d’avant crise.

Au final, les pays qui bénéficient le plus des taux nuls sont aussi ceux où les ménages ont le plus souffert. Alors pourquoi ne pas redistribuer aux ménages les économies que les Etats font grâce à la politique des taux bas ? Une aide pour les épargnants et les retraités, plus vulnérables au risque de longévité et de revenu, permettrait ce rééquilibrage. Puisque les taux vont rester bas, voire négatifs, pendant encore quelques années, et plutôt que de critiquer la BCE à tout bout de champs, lançons un grand concours Lépine de la politique publique qui permettra de limiter les effets négatifs des taux bas. Et non, l’impôt ne résoudra pas ce schmilblick-là.

Ludovic Subran

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